La trachée lacérée par le sel et l'effort, Erevan se laissa choir sur le sable après s'être extirpé de la grotte. Dans sa fuite, elle s'était entaillé la plante des pieds contre les galets. De minces filets de sang s'échappaient de ses plaies ainsi que de ses coudes éraflés. Accroupie, elle dissimula son visage sous ses mains et pleura à chaudes larmes. Les muscles tremblants, elle déversait la terreur qu'elle avait ressentie quelques minutes plus tôt.
Ainsi son sauveur n'était autre que le Aràn des mers, jamais elle n'aurait pu concevoir une telle chose. Pourtant, il ne lui avait pas menti, il avait joué la franchise, et ce, depuis le début. Mais comment cela était-il possible, comment le Aràn pouvait-il redevenir humain à sa guise ? La transformation n'était-elle donc pas irréversible ou bien était-ce l'apanage des entités ?
Plongée dans un état second, l'esprit évadé, elle se recroquevilla sur le sable, qu'importe la fraîcheur du vent vespéral qui la faisait frissonner. En silence, elle regardait droit devant elle, l'œil légèrement vitreux, ne distinguant que des formes floues, diluées dans cet espace que la brume enveloppait de ses vapeurs.
Un cri l'arracha de ses pensées, Selki venait de la rejoindre. La face trempée, tout juste sortie des flots, elle renifla bruyamment, posa sa tête de veau sur les cuisses de sa cadette et se blottit. Erevan l'enserra et la câlina jusqu'à la tombée des derniers rayons du jour, nimbant le ciel d'un vaste dégradé outremer grignoté par le brouillard de plus en plus persistant.
Quand le vent frais commença à devenir trop mordant, la jeune femme se redressa. Avant de regagner sa maisonnée, elle partit récupérer les poissons qu'elle avait pêchés tantôt. Ceux-ci ne se portaient pas au mieux dans ce seau étriqué à l'eau trop tiède.
En rentrant, et désireuse de ne pas faire souffrir inutilement ces bêtes, elle les acheva d'un coup de couteau bien placé et donna un hareng au phocidé qui l'engloutit en à peine trois bouchées. Sans entrain, elle fit rôtir le reste à la poêle avec un oignon et une pincée d'herbes aromatiques puis accrocha également une marmite remplie d'eau. La chaleur du feu présent dans le foyer la détendit quelque peu, réchauffant son corps mouillé qui grelottait par intermittence. Les flammes rougeoyantes l'hypnotisaient, la rendant comateuse, léthargique.
Le repas prêt, elle se révélait incapable de manger tant son estomac était noué et ses pensées capturées dans de multiples réflexions contradictoires. Elle mit les poissons frits en bocal, le rangea sur un coin de la cheminée et versa le contenu de la marmite dans un seau, prenant garde à ne pas s'ébouillanter. Puis elle se déshabilla, ôtant ses vêtements trempés à l'odeur d'eau croupie qui lui collaient à la peau comme une mue de serpent. Ils retombèrent comme de vieilles serpillières, éclaboussant le sol.
Postée devant la cheminée, armée d'un gant et d'un morceau de savon, elle entreprit de se laver pour chasser le sel qui avait tant irrité sa peau, créant des plaques de boutons rouges sur les zones de frottements. Avec lenteur, elle soigna ses coudes ainsi que ses pieds meurtris et couina au contact du tissu contre les blessures.
Par chance, aucune entaille n'était profonde, rien que du superficiel. Pour aider à la cicatrisation, elle se les massa avec de l'huile de millepertuis et les banda. Chose faite, elle se glissa sous les couvertures glacées puis, l'esprit libéré de toute tâche à effectuer, elle craqua et pleura à chaudes larmes.
Les jours suivants, Erevan ne daigna sortir de chez elle. Ayant perdu tout entrain, elle restait la plupart de son temps clouée au lit et se nourrissait peu, ne possédant pas assez de volonté pour ne faire autre chose que de gésir allongée sous les draps. En pleine déréliction, elle ne cessait de repenser à celui qui hantait son esprit. Elle revoyait en permanence ce visage anguleux à l'expression si douce et enfantine. Or il y avait également ce serpent, ce monstre impitoyable et cruel, que tout humain craignait, sur Norden comme sur Pandreden, tant sa force et sa colère étaient redoutées.
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Norden Anthologie
Mystery / ThrillerIl est sur Norden des êtres capables de se transformer en animal une fois adultes, les noréens. Ces derniers cohabitent depuis 300 ans avec les aranéens, un peuple civilisé aux fondements sociétaux et principes moraux opposés. Dans ce contexte, Ambr...