Adèle

26 5 0
                                    

Comme chaque matin, Adèle se rendait à la plage, les bras chargés de pain rassis qu'elle avait soigneusement emballé dans un vieux chiffon troué. Elle marchait d'un pas léger, cheminant entre les galets et les crustacés, ses pieds nus gravant de minuscules empreintes sur le sable encore humide de la marée.

À son passage, elle jetait quelques miettes aux phoques et goélands, offrant de plus gros morceaux aux mastodontes qui attendaient patiemment leur tour, leur ventre mou tourné vers le soleil. L'astre était en partie dissimulé par les nuages et berçait le paysage de ses timides rayons flavescents, produisant des reflets scintillants sur l'étendue outremer qui se déployait à perte de vue. L'air encore frais exhalait une forte odeur d'eau iodée. Il régnait en ces lieux une atmosphère apaisante où seuls le balancement de la houle et le cri des oiseaux marins venaient rompre le calme ambiant.

La fillette s'arrêta au bord de l'eau et admira l'horizon de ses yeux céruléens. Ses cheveux blancs ondulaient au gré du vent et fouettaient son visage voilé d'une peau aussi liliale que celle d'une hermine en hiver. Elle portait autour du cou un petit médaillon de bois blanchi en forme d'oiseau, grossièrement sculpté par sa grande sœur Ambre pour célébrer sa naissance il y a six ans de cela.

Pendant que les vagues venaient lui chatouiller les orteils, éclaboussant le bas de sa robe à franges écrue tirant sur le gris tant elle était usée, Adèle sortit de sa poche un pipeau. Elle porta l'objet à sa bouche et se mit à souffloter, composant une mélodie maladroitement exécutée.

Au bout d'un moment, un phoque au pelage nivéen émergea de la mer et s'avança vers elle. Arrivé à sa hauteur, il se jeta dans ses bras et se mit à ronronner.

— Maman ! s'exclama la petite, joyeuse. Tu m'as tellement manqué ma petite maman chérie ! Ça fait si longtemps que tu n'étais pas venue me rendre visite !

Elle prit sa tête entre ses mains et plongea son regard dans celui du phocidé.

— J'ai cru qu'il t'était arrivé malheur ! Je vais enfin pouvoir dire à Ambre que tu vas bien et que tu n'as rien !

L'animal couina et renifla la petite à la recherche de nourriture. Il la culbuta si fort qu'elle tomba à la renverse sur le sable mouillé. Puis il posa ses imposantes nageoires autour de son corps chétif et approcha sa tête aux yeux de chien battu de celle de la fillette. Sa peau froide et trempée sentait un remugle d'algue mêlé de vase.

— Ah ah ! Arrête maman, tu me chatouilles avec tes moustaches ! Je n'ai rien à te donner à manger aujourd'hui ! On n'avait rien pour toi à la maison.

Elle repoussa le phoque de toutes ses forces puis se remit debout et épousseta sa robe piquetée de sable.

— Ah mince ! La maîtresse ne va pas être contente ! Je suis toute sale maintenant.

Elle donna une tape amicale sur la tête de l'animal et l'embrassa sur le front.

— Je te laisse maman, il faut que j'aille à l'école ou je vais être en retard. Bonne journée à toi, je reviendrai te voir ce soir si Ambre me le permet. Alors sois sage et attends-moi !

Elle s'en alla en hâte, regagna la terre où elle essuya ses pieds sableux et enfila ses chaussures qu'elle avait laissées à proximité. Puis elle prit son cartable et se mit en route en direction de l'école, située en plein cœur de la ville de Varden, à quatre bons kilomètres de marche.

La petite avançait à bonne allure sur la route cabossée, bordée par les champs de blé et diverses cultures agricoles. De longues allées de broussailles et des murets de pierres séparaient les propriétés. C'était quelque chose de nouveau sur l'île ; avant l'arrivée des aranéens jamais personne n'aurait pensé à cloisonner les terres, tout appartenait à tout le monde sans distinction aucune.

Norden AnthologieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant