Agitation

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L'air matinal était particulièrement froid et vivifiant en cette matinée de fin décembre. Emmitouflée sous un épais manteau en laine, Blanche arpentait les ruelles désertes en direction de Varden afin de se rendre à l'épicerie, une habitude qu'elle avait prise deux matins par semaine.

La mine maussade, elle descendait les allées pavées noyées sous les vapeurs brumeuses où la chaussée, jonchée de flaques d'eau verglacées, était glissante. Pour conserver son équilibre et éviter que les cochers ne la bousculent du haut de leurs montures attelées, elle longeait au plus près les habitations. Elle se tenait aux rambardes et aux murs dont les façades de pierres effritées étaient placardées d'affiches de propagande nouvellement créées.

Intriguée par l'une d'elles, la jeune duchesse s'arrêta et l'examina avec intérêt. Elle représentait un serpent argenté à trois têtes, dont les gueules grandes ouvertes laissaient pendre une langue fourchue, et portait pour titre : L'Élite nous sauvera, gloire à l'Hydre. Soucieuse de cette propagande naissante, elle fronça les sourcils. L'Élite dont elle faisait partie il fut encore un an de cela commençait à se déchirer. Maintenant, l'Hydre et les élitistes conservateurs comprenant notamment les familles marquises von Dorff, de Malherbes et Desrosiers étaient officiellement devenus les plus farouches opposants au maire von Tassle ainsi qu'à son parti de l'Alliance, liant les familles marquises des von Eyre et de Lussac.

Blanche marmonna et poursuivit sa route sous ce froid mordant, tenant en sa main droite son panier d'osier qu'elle serrait rageusement de ses doigts gantés. En pleine réflexion, elle ne pouvait s'empêcher de songer aux conséquences et répercussions désastreuses que cette scission politique entraînerait sur le territoire, sachant que celui-ci était devenu déjà bien instable. Les deux principales causes étaient la mise en place de l'embargo économique mais également la cession de la côte Est du territoire aux Hani, la puissante famille aranoréenne des carrières Nord.

Arrivée dans l'épicerie, Blanche ôta ses gants et visita les rayons à la recherche de ses denrées. Comme elle s'y attendait, les cagettes de légumes à disposition étaient bien maigres en cette saison morte. L'hiver réduisait considérablement le choix des produits frais qu'elle se résolut à prendre seulement un chou et de rares tubercules faisant bien triste mine malgré leur prix relativement élevé. Elle se rendit ensuite au rayon où les produits secs et bocaux étaient entreposés. Puis elle remarqua avec aigreur que bon nombre de denrées n'étaient plus.

Ce fut le cas notamment pour le riz, le thé, les fruits secs et autres épices qui provenaient exclusivement de la Grande-terre. Avec son budget déjà bien limité, elle s'orienta sur des bocaux de haricots et des sachets de légumineuses qui, encore abordables, permettraient de leur tenir au corps pour la semaine. En revanche, elle fut réjouie de trouver les conserves de poissons au prix ordinaire, voire moins onéreux.

Alors qu'elle faisait la queue au comptoir pour payer ses achats, une conversation attisa sa curiosité. Discrètement, elle tendit l'oreille et écouta scrupuleusement les deux domestiques présentes juste devant elle, engagées en pleine discussion animée.

— Non, ce n'est pas vrai ! s'indigna l'une d'elles.

— Je te promets que si ! assura la seconde. Monsieur le marquis Laurent de Malherbes est ici, sur Norden ! On raconte qu'il n'a jamais quitté l'île depuis les faits ! Tu te rends compte ?

— Mais c'est impossible ! Comment a-t-il pu rester aussi longtemps dans l'ombre sans que personne ne s'en aperçoive ! J'espère qu'un procès aura lieu pour le faire condamner et qu'il paiera pour ses crimes !

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