La louve, les enfants et la D.H.P.A

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Cela faisait un mois qu'Ambre travaillait à l'observatoire. Elle appréciait l'ambiance de ce lieu où bon nombre de curiosités ornaient chaque recoin. Des piles d'ouvrages et de paperasses s'étendaient de manière chaotique sur les tables faites de planches de bois calées sur des tréteaux. Des animaux empaillés semblaient épier de leurs yeux de verre le moindre de leurs faits et gestes, accompagnés par leurs organes préservés dans des bocaux de formol. L'exhalation des liquides se mélangeait avec celles des livres, de l'alcool ainsi qu'aux effluves floraux.

Pendant la semaine, Ambre dormait dans une chambre mansardée qu'elle partageait avec Marie. Elle passait la majeure partie de ses journées à trier et classer les documents de ses confrères ainsi qu'à s'occuper des chevaux, de l'écurie et tout ce qui concernait les corvées ménagères telles que la cuisine, le nettoyage du linge et des lieux.

De temps en temps, elle épaulait Stephan dans ses recherches, lui relatant les fois où elle avait côtoyé Judith de son vivant et les informations qu'Anselme lui avait révélées à son sujet. D'après lui, sa mère n'avait pas ou peu d'amis, peu encline à se mélanger à la foule qui la rendait nerveuse. Seules les soirées mondaines en comité restreint étaient les bienvenues. Là-bas, elle appréciait y manger des mets raffinés et danser en compagnie de son jeune époux, profitant de l'orchestre et se laissant emporter par la musique qu'Alexander ne supportait pas chez lui.

Cependant, Ambre n'avait que peu d'indices concernant la relation que Judith entretenait avec Ambroise et Anselme évitait de s'étendre sur le sujet chaque fois qu'elle l'évoquait. Bien souvent, il éludait la question ou renchérissait avec une autre, le visage trahissant une gêne mal dissimulée. Elle avait fini par abandonner, de peur que la réminiscence de ces souvenirs douloureux ne l'attriste davantage, se demandant même si son éternel fiancé ne conservait pas une certaine amnésie depuis son lynchage.

Parfois, Ambre aidait les deux botanistes, Pascal et Isidore, à entretenir leurs plantes et nettoyer la serre. Une porte donnait accès à un laboratoire, permettant de distiller et de transformer les végétaux afin d'en faire des essences ou des huiles, qu'ils vendaient ensuite en ville aux artisans parfumeurs ou aux herboristeries.

Les parfums des plantes s'entremêlaient, accentués par l'effluve de terre mouillée fraîchement arrosée. La jeune femme fut néanmoins troublée par une odeur forte et persistante qui planait dans l'air. En se concentrant, elle comprit que la senteur émanait de deux plantes dangereuses, avec pour écriteau : jusquiame noire et datura stramonium.

Le remugle dégagé par ces plantes était particulièrement désagréable, nauséabond même. Pourtant, il lui rappelait étrangement celle de la D.H.P.A, quoique légèrement différent, moins fort et moins agréable à sentir ; il leur manquait cette note ferreuse, attractive.

La voyant intriguée, Pascal lui expliqua que ces plantes étaient utilisées pour la pharmacopée et avaient des effets psychotropes avérés. Toutes les deux étaient de la famille des solanacées et pouvaient provoquer de nombreux effets néfastes en cas d'ingestion pure tels que des spasmes, un arrêt respiratoire, de l'amnésie ou encore une perte de conscience. Dans la majeure partie des cas, le consommateur subissait une dilatation des pupilles, une impression d'ivresse, un trouble dissociatif de la personnalité ainsi qu'une forte confusion entre le délire et la réalité.

Elles étaient généralement utilisées en tant que drogue et comptaient parmi les composants principaux de la D.H.P.A. qui avait causé pendant près de quinze ans de sérieux dommages, tant physiques que moraux, sur les consommateurs comme sur leurs victimes. Elle avait circulé dans les milieux aisés avant d'être interdite il y a vingt ans de cela.

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