Mission acquittée

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Il ne fallut pas longtemps à la jeune femme pour rejoindre la ville. Emparée d'un souffle d'énergie qui semblait lui donner des ailes, elle se rendit en hâte chez ses voisins afin d'y emprunter leur âne. L'animal, docile, galopa l'ensemble du trajet, faisant claquer ses maigres sabots contre ce sol rocailleux, soulevant à son passage un modeste monticule de poussière. Les naseaux dilatés, il haletait sous cet effort qu'il ne pratiquait guère et hennissait par moments pour se plaindre, mais Erevan n'écoutait pas ses complaintes.

Jamais elle n'avait eu autant à cœur de se rendre à Iriden. Plongée dans sa rêverie, les pensées vagabondes, elle ne prenait pas garde au paysage défilant. Celui-ci avait pourtant bien changé depuis la dernière fois qu'elle s'y était rendue. Les prémices de l'hiver apparaissaient sur la nature environnante où les arbres terminaient de se teinter d'ocre, pour se dénuder progressivement et exposer leur tronc à nu. Le ciel arborait cette auréole cendrée avec de gros nuages qui l'assombrissaient.

Quand les premiers manoirs suivis des maisons de maître commencèrent à apparaître dans son champ de vision, le sourire de la jeune femme s'effaça quelque peu. Gagnée par l'embarras et l'appréhension, elle tentait de se dominer, élaborant divers plans sur la conduite adéquate à adopter lors de l'entretien, devant ces gens de la haute ou ces hommes de loi qu'elle allait affronter pour s'acquitter de sa tâche. De plus, elle allait devoir être vigilante une fois au cœur de la ville afin de repérer au mieux le bâtiment tant convoité dans cette fourmilière grouillante de monde. La monture au pas, elle arpenta les avenues à l'architecture similaire, regardant les noms de rues et les pancartes.

Quand elle parvint, après de nombreux détours, à trouver le bâtiment de la maison d'arrêt, elle se figea un instant, désarçonnée par cet immense édifice à la façade rigide que rien ne semblait pouvoir ébranler. Le malaise passé, elle accrocha la bride de l'âne aux barreaux de fer et pénétra dans l'enceinte sous l'œil inquisiteur des cavaliers de la garde d'honneur. Elle frappa et patienta. Un homme en costume bordeaux, l'air patibulaire lui ouvrit.

— Que voulez-vous, mademoiselle ? demanda-t-il en la sondant de pied en cap.

Elle déglutit et s'éclaircit la voix :

— Monsieur, je dois m'acquitter d'une somme. On m'a dit qu'il fallait que je me rende ici pour le faire.

— Avez-vous votre convocation ?

— Non monsieur, avoua-t-elle, prise d'un frisson à l'idée qu'il ne la laisserait pas entrer sans le papier désiré.

— Pourquoi donc ?

— Je l'ai brûlée, renchérit-elle avec aplomb, je ne savais pas que ce serait important de la garder.

L'homme leva les yeux au ciel et soupira d'exaspération puis, voyant qu'elle était bien jeune et très certainement naïve sur ce genre d'affaires, il s'écarta et la laissa entrer.

— Qui vous a amendé ?

— Monsieur de Lussac, enfin, je crois...

— Le maire ? s'étonna-t-il en haussant un sourcil. Vous êtes la sauvageonne qui a agressé le fils du marquis ?

D'abord interdit, il eut un rire gouailleur qui résonna dans le hall. À la vue de son acolyte qui perdait de son sérieux, l'un des employés du guichet vint s'enquérir du motif. Le premier, moqueur, lui conta l'affaire avant de s'esclaffer à nouveau. Le nouveau venu, plus professionnel, parvint à se retenir et tapota l'épaule du gardien avant de prendre la jeune femme en charge. Il se replaça derrière son comptoir, lissa sa fine barbiche et se racla la gorge.

— Veuillez excuser mon collègue. C'est juste que lorsque le marquis de Malherbes nous a annoncé qu'une femme monstrueuse et sauvage comme un taureau avait sévèrement agressé et traumatisé son fils... on ne s'attendait pas à ce que ce soit quelqu'un comme vous qui débarque céans.

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