Installation

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Le dos voûté et la face rouge, Théodore posa le chargement et souffla avant de s'essuyer le front à l'aide de sa manche pour y capturer la sueur. Hors d'haleine, il s'étira et fit craquer ses os, les muscles endoloris par l'effort ; lui et Antonin venaient de transporter une lourde malle qu'ils avaient acheminée dans l'une des chambres de l'étage, sous les indications de Meredith. Cette dernière les encourageait à grands coups d'applaudissements et d'éloges, jouant de ses charmes pour les amadouer tout en agissant de manière mignonnement tyrannique envers ces deux chambellans serviables.

Ses étirements effectués, le brunet gémit de plaisir, heureux d'avoir enfin terminé cette tâche qui leur avait pris l'entièreté de la matinée. Il leur avait fallu pas loin de trois aller-retour entre le manoir von Hauzen et la Marina, pour récupérer l'ensemble des paquetages. Les deux fiacres furent prêtés par Léopold de Lussac, le père d'Antonin.

Le marquis avait gracieusement missionné certains de ses domestiques pour leur prêter main forte, laissant ces dames de haut rang le soin d'organiser l'agencement des pièces et de visiter leur nouvelle demeure. Néanmoins, l'équanime Irène von Hauzen demeura chez elle, inspectant une à une les nombreuses pièces de son vaste domaine. Elle était escortée par monsieur le notaire Éric de Malherbes et par monsieur Alastair von Dorff, huissier de justice, ainsi que par leur cohorte dont le rôle était de s'assurer que madame n'oublie rien. Car, une fois cette ultime journée écoulée et les clés du manoir cédées, elles auraient interdiction d'y retourner, qu'importe le motif.

Leur manoir ainsi que tous les biens restants allaient être mis en vente aux enchères pour être vendus au plus offrant sans que madame la duchesse et ses filles ne pussent hériter pleinement du montant. Elles n'obtiendraient qu'un faible pourcentage qui avoisinerait certainement une somme leur permettant de vivre modestement une demi-douzaine d'années. Les charognards opportunistes lorgnaient avec une malsaine avidité cette fortune immobilière et mobilière, s'ébaudissant devant ces luxueux objets d'époque qui se revendraient à prix d'or chez des acquéreurs passionnés, plus que ravis de les dépouiller.

C'était la première fois que Théodore se rendait dans la demeure secondaire de son ami. Et à peine avait-il mis un pied sur le palier et observé l'intérieur de l'entrée qu'un ricanement involontaire s'était échappé de sa bouche. En effet, le marquis de Lussac était un riche collectionneur féru de la marine et à tout ce qui pouvait s'y raccrocher. Ainsi, la moindre pièce arborait un foisonnement de babioles aussi clinquantes qu'inutiles sur chaque meuble et parcelle murale. Même les rideaux ne pouvaient s'empêcher d'afficher des estampes de coquillages et crustacés.

— Merci les garçons ! s'écria Meredith en leur apportant un verre de citronnade qu'elle leur tendit avec un immense sourire aux lèvres.

Théodore lui rendit son sourire et prit le verre qu'il porta à ses lèvres, laissant le liquide frais et désaltérant couler le long de son œsophage avant de l'avaler d'une traite. Il manqua de s'étouffer en regardant la jeune duchesse et son amant s'embrasser à pleine bouche sans une once de pudeur. Le bruit de leur échange buccal titilla les ardeurs du célibataire qui détourna les yeux, vexé de ne pas posséder sous la main quelques donzelle ou midinette avec qui partager pareil plaisir.

Quelle folie d'avoir voulu suivre son ami qui avait grandement insisté pour qu'il lui tienne compagnie durant cette étape. Seulement, Antonin avait peu discuté auprès du brunet, trop occupé à apaiser sa dulcinée en détresse. Les seuls échanges furent lorsqu'ils s'aidèrent mutuellement à transporter malles et cartons qui pesaient autant qu'un âne mort tant ils étaient lourds et compacts.

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