La mission

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Assis sur son siège, Théodore se trémoussait et frottait nerveusement ses mains le long de ses cuisses. La salive absente de sa bouche l'empêchait de déglutir convenablement, rendant sa gorge sèche et pâteuse. Il tenta un bref coup d'œil à sa gauche et vit Antonin qui, parfaitement immobile et la bouche entrouverte, était aussi blême que lui.

— Me suis-je bien fait comprendre, messieurs ? trancha Alexander d'une voix ferme.

Dressé sur son siège, il joignit ses mains pour les poser sur le lex legatorum, le traité de loi de leur territoire. Ses yeux sombres sondaient ses interlocuteurs avec une insoutenable froideur. L'insigne épinglé sur sa poitrine brillait d'un étrange éclat, reflétant de manière inquiétante la lueur mordorée de la flammèche du chandelier. Cela accentua davantage cette sensation d'oppression suite au discours comminatoire qu'il venait d'énoncer.

— Oui monsieur le maire, approuvèrent les garçons d'un air abattu en prenant conscience de leur nouvelle mission qui s'annonçait tant laborieuse que périlleuse.

— Bien, vous pouvez disposer à présent !

La queue entre les jambes, les deux jeunes marquis se levèrent et se dirigèrent vers la sortie, s'éloignant d'une démarche pantelante. Une fois dehors, ils prirent la direction d'une rue descendante, traversée par des riverains et employés attelés à la tâche en ce jour de marché. Les rues étaient animées et les étals peu fournis en cette saison morte se vidaient aussi rapidement que les vendeurs les remplissaient de leurs maigres cagettes aux légumes mouillés et terreux, rabougris.

Des odeurs de vin chaud, de pain tout juste sorti du four et de poulet rôti à la broche s'étendaient dans l'atmosphère gorgée d'humidité, apportant un alléchant fumet qui ouvrait à l'appétit. Les deux amis vaguèrent en silence une bonne dizaine de minutes avant que l'un d'eux ne se décide à le briser.

— Comment va-t-on procéder ? demanda Antonin.

— Je n'en sais rien, maugréa le brunet en sortant de sa poche son paquet de cigarettes.

D'un geste brusque, il en alluma une et la porta à ses lèvres, tirant avec acharnement afin de défouler ses nerfs.

— Non, mais c'est pas vrai ! D'où se permet-il de nous ordonner une telle chose ! « Enquêtez sur cette drogue en toute discrétion et tentez de savoir d'où le stock provient. » Non, mais sérieusement comme si on était inspecteurs ! Ce n'est clairement pas notre boulot !

— Il doit redouter que certaines personnes de la milice soient de mèche avec les trafiquants, réfléchit Antonin avec pragmatisme, et puis, il a déjà bien assez de problèmes annexes pour enquêter par lui-même, avec les magistrats peu scrupuleux qui veulent sa tête. Sans compter la présence indésirée de Laurent de Malherbes qui se ferait une joie de l'évincer s'il le croise.

À l'entente du nom du marquis, Théodore pesta. La mine froissée, il jeta sa cigarette dans le caniveau et engouffra ses mains dans les poches.

— Ça va aller ? s'enquit le blondin en voyant son ami se rembrunir. Ton père savait-il pour son isolement ?

— Non ! rétorqua-t-il avec vigueur. Quand nous avons lynché Anselme et que mon père a dû rallier la cause du Baron afin de m'éviter la prison, mon oncle et mon père se sont très sévèrement disputés. Et quand je dis sévèrement le mot est faible. Pire qu'il y a vingt ans ! Je pense qu'ils auraient pu s'entre-tuer cette fois-ci tant Laurent était furieux de cette trahison. Il ne faut pas oublier qu'Isaac est le seul de nous trois à avoir succombé sous les crocs de la louve qu'il sait être la femme de von Tassle. Donc autant te dire que s'il pouvait nous voir aussi morts et enterrés que son fils ne l'est à l'heure actuelle, cela lui procurerait un immense plaisir. Surtout si c'est lui qui nous donne le coup de grâce. Pour Laurent, mon père a forligné les principes de la noble Élite. Nous sommes des traîtres à notre rang.

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