Les événements de l'ombre

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Assis à son bureau, Alexander étudiait la femme qui se dressait devant lui. Irène se tenait bien droite, le port altier. Elle portait un long manteau ardoise, en accord avec sa couleur d'yeux, qui épousait ses formes à la manière d'un drapé. Sa coiffe se composait d'un chignon duquel quelques mèches s'échappaient, auréolée d'une toque en fourrure d'hermine magnifiquement ouvragée, d'un blanc pur moucheté de taches noires régulières. Une paire de bottes imperméables lui grimpait jusqu'aux genoux et recouvrait son pantalon clair en toile de jute.

À ses côtés, Desrosiers affichait un air grave mais serein. Il était vêtu d'un costume sombre, tout aussi épais que celui de son acolyte, et empoignait fermement sa canne à pommeau de serpent. Par courtoisie, Alexander se leva et les invita à s'asseoir. James alluma des chandelles puis, serviable, alla préparer une boisson chaude.

Lucius choisit un siège et s'installa tandis qu'Irène resta debout, accoudée à la fenêtre, regardant l'extérieur d'un air songeur. Malgré le ciel cendré, la pluie avait cessé. Un fort effluve de pierre mouillée imprégnait l'air orageux accompagné par une odeur plus subtile de brûlé mêlé de poudre. En contrebas, les hommes du marquis s'étendaient sur la place, une trentaine de soldats patrouillant à pied ou à cheval. Trois d'entre eux déchargeaient une caisse qu'ils acheminaient à l'intérieur de la mairie.

La duchesse plissa les yeux et remarqua que de la fumée noire s'échappait d'habitations éparses. Elle sortit de sa poche un paquet de cigarettes, aussi longues et fines que ne l'étaient ses doigts, et en alluma une qu'elle porta à sa bouche avant d'annoncer sèchement :

— Je vois que l'Insurrection a commencé. Merci à Wolfgang d'avoir été à ce point négligent ! C'est une chance que nous ayons anticipé les tensions en ayant pris un autre itinéraire afin d'accoster directement à Eraven avec notre précieux chargement, sans la menace de l'Albatros pour intercepter notre navire. Une chance que Desrosiers soit parvenu à faire diversion et à retenir l'attention du capitaine Friedz ainsi que de ses hommes.

Un silence se fit. La mine patibulaire, Alexander scrutait les deux nouveaux venus de ses yeux plissés en fentes.

— Pouvez-vous me dire, je vous prie, ce qui se passe ? s'enquit-il d'une voix aussi calme qu'il le pouvait.

Desrosiers jeta un regard en direction de son acolyte qui se retourna et leur adressa un sourire faux.

— Baron, je crois qu'il est temps pour nous d'achever cette partie d'échecs et de mettre un terme définitif à cette guerre civile, dit-elle en recrachant un nuage de vapeur, nous avons gagné et quand demain viendra le crépuscule, le Aràn Alfadir nous sauvera. Si tant est qu'il soit assez rapide pour gagner Iriden au pas de course au vu de son état ou ne daigne reprendre forme humaine et envisage d'emprunter une monture.

Elle fronça les sourcils et fit claquer sa langue.

— Mais connaissant le Aràn et son arrogante fierté, je doute fortement qu'il choisisse cette deuxième option.

— Que dites-vous ? lança Alexander, stupéfait par le fait qu'elle puisse joindre l'entité et que celui-ci soit capable de redevenir humain à sa guise.

Irène sortit de sa poche un sachet transparent dans lequel se trouvait une pastille d'un vert sombre. À cette vision, le Baron eut un rictus.

— Je n'ai pas besoin de vous dire ce que c'est, monsieur le maire. Je suppose que vous le savez déjà ?

— Que vient faire la D.H.P.A. dans cette affaire ?

Irène prit une autre bouffée qu'elle laissa pénétrer dans ses poumons et rangea la drogue dans sa poche.

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