La nuit était particulièrement sombre en cette soirée d'automne, sous un ciel sans étoiles ni lune, ce 24 septembre 300. Dehors, l'air frais et vivifiant balayait les premières feuilles mortes. Près d'un buisson épineux, un renard inerte gisait sur un tapis de mousse, le corps éventré par des corbeaux affamés qui piochaient avidement des lambeaux de chair fumante qu'ils avalaient crûment. Du sang s'écoulait de ses entrailles et maculait sa toison rousse, attirant des armées d'insectes désireux de se délecter d'une proie noble. Non loin de là, un somptueux manoir s'érigeait, appartenant la digne lignée ducale des von Hauzen. Sa façade d'un blanc pur et son ouvrage superbe laissait transparaître le faste et le luxe d'une famille qui pendant longtemps avait su régner en maître et imposer le respect envers tous ses citoyens.
La famille von Hauzen était attablée, à l'heure du dîner, dans la salle à manger monumentale merveilleusement décorée. L'immense pièce n'était éclairée que par les dizaines de chandeliers disposés sur la table et les consoles de marbre. L'ondulation des flammes léchait la figure pâle et inerte des statues annexes qui semblaient s'animer et observer les quatre personnes se trouvant en ces lieux. Le repas se faisait en silence, où seuls le carillon monotone des horloges, le tintement des verres en cristal et les entrechocs des couverts faits d'argent se faisaient entendre.
Le Duc trônait en bout de table, habillé avec majesté dans son riche costume noir d'apparat sur lequel le sigle de la mairie était épinglé. L'homme affichait un regard aussi digne que fier, son deuxième mandat se révélait être un succès et tout semblait lui sourire. Il avait su, grâce à son éminent employeur, retrouver sa stabilité d'antan et à hisser à nouveau la notoriété de sa famille au sein de la noblesse, au détriment de nombreux citoyens qu'il laissait sur le carreau dans le but de satisfaire l'appétit insatiable de ses chers amis élitistes.
En face de lui, sa charmante épouse Irène, aussi belle que glaciale, buvait une gorgée de vin rouge qu'elle portait à ses lèvres avec lenteur. Elle se tenait droite, la nuque dressée, coiffée d'un chignon bas, tirant ses cheveux blond-châtain en arrière. La coiffure mettait en valeur sa peau opaline et accentuait la couleur bleue givrée de son regard de vipère. Cette magnifique femme à la silhouette élancée et d'origine noréenne avait pour atours une élégante robe de soie couleur pervenche qui lui descendait jusqu'aux chevilles et la cintrait sous les seins. L'étoffe soyeuse épousait les formes de son corps longiligne à la manière d'une mue de serpent.
De chaque côté de leurs parents étaient assises les jumelles, âgées de onze ans. Blanche, la plus calme et la plus mesurée des deux, tentait d'imiter sa mère, l'observant du coin de l'œil afin de copier le moindre de ses faits et gestes. Tandis que Meredith, énervée de ne pouvoir prendre la parole ou de devoir réfréner chacun de ses mouvements, faisait la moue et toisait sa sœur dont l'attitude l'exaspérait. Pour recevoir un tantinet d'attention, elle poussait par moments des soupirs d'agacement.
Une fois le dîner achevé, les sœurs embrassèrent leur père puis leur mère et rejoignirent leurs chambres respectives. Friedrich et Irène s'installèrent dans le salon, une pièce austère aux murs marquetés de bois sombre. Un imposant bureau en acajou, sur lequel des piles de papiers et une carafe en cristal remplie de whisky étaient disposées, trônait au centre. La seule présence chaleureuse provenait de l'immense cheminée où un feu ardent consumait les bûches avec voracité.
Les époux restèrent plusieurs heures à discuter posément de l'organisation des jours à venir. La noble Irène, bien que n'étant pas officiellement considérée par l'Élite, était la plus habile conseillère de son mari.
Ils s'apprêtaient à quitter les lieux lorsque le majordome les avertit qu'une personne désirait ardemment les voir. Intrigué d'être dérangé à une heure si tardive, le couple reprit sa place habituelle ; Irène sur une méridienne et Friedrich à son bureau. Une fois leurs aises prises, ils autorisèrent le domestique à faire entrer l'inconnu.
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Norden Anthologie
Mystery / ThrillerIl est sur Norden des êtres capables de se transformer en animal une fois adultes, les noréens. Ces derniers cohabitent depuis 300 ans avec les aranéens, un peuple civilisé aux fondements sociétaux et principes moraux opposés. Dans ce contexte, Ambr...