Les confidences du Cerf

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La cité de Meriden était encore bien agitée malgré l'annonce officielle de la fin des hostilités. Une horde de gens s'amassait en grand nombre au centre de la place. Une rumeur incroyable circulait entre les allées ; le Aràn Alfadir était présent en ces lieux. Le Grand Cerf se tenait debout, dominant la foule de son allure triomphante, les bois aussi hauts que le sommet des pommiers. Sous le discours du vieux Solorùn, le Aràn observait dignement ses sujets.

Par la suite, les Shamans démontraient leurs talents de soigneurs tandis que Fenri, Skand et Sonjà racontaient aux curieux anecdotes et coutumes de leurs peuples respectifs, ne manquant pas de glorifier leurs faits ainsi que la puissance de leurs tribus. Même Saùr avait apporté sa contribution. Sa queue fouettait l'air avec vigueur alors qu'il transportait un sanglier en pleine gueule dont il avait pris soin de dévorer la tête en chemin.

Allongé au pied d'un pommier, le Hjarta Aràn demeurait seul et protégeait entre ses pattes son écrin noir tant désiré. Perdu dans ses réflexions, il mirait d'un œil vague cette masse de gens insignifiants s'affairer. Parmi l'assemblée, une silhouette attira son attention, cette fille à la peau d'hermine, son arrière-petite-fille. Les oreilles dodelinant inlassablement, il tentait de sonder cette enfant qu'il venait d'accepter au sein de son île. Dans son éternelle insouciance, Adèle ne se rendait nullement compte de l'intérêt qu'elle suscitait aux yeux de son aïeul et jouait avec Mesali.

La petite Féros maintenait sa jambe meurtrie tendue devant elle, enroulée dans un épais bandage. Pour le décorer, les deux filles y avaient dessiné divers animaux. Les deux enfants gloussaient et lançaient des os en guise d'osselets qu'Anselme s'amusait à chaparder au vol.

Lorsque la nuit fut bien avancée, Alfadir arpenta dans l'ombre les allées désertes, seulement empruntées par des gardes et infirmiers. Il s'arrêta devant l'enceinte dont l'arche était décoré de symboles runiques ainsi que d'un corbeau. Il songea à son fils Hrafn, de nouveau à ses côtés. Une larme coula sous son œil bleu globuleux bardé de croûtes. L'animal poussa un soupir et recracha une infime quantité de vapeur de son museau dilaté.

— Pourquoi pleures-tu, Aràn ? demanda une voix flûtée juste derrière lui.

Surpris, il sursauta et se retourna en hâte pour apercevoir la petite albinos qui se tenait à ses pieds, un corbeau perché sur son épaule ; perdu dans sa rêverie, il ne l'avait pas sentie arriver. Il pencha la tête et vint à sa hauteur pour la voir de plus près. Guère impressionnée par cet immense cervidé, Adèle soutint son regard. Elle était emmitouflée sous une épaisse couverture en peau d'animal et portait ses gants bleus ainsi qu'une écharpe.

D'une main timide, elle approcha sa paume de la truffe de l'animal qui se recula et se dressa de toute sa hauteur. L'air fier et arrogant, il souffla pour montrer son mécontentement, les oreilles plaquées en arrière. La fillette l'observa avec étonnement, la mine renfrognée d'avoir mal agi. Pour trancher la tension latente, Alfadir commença à marcher en direction des bois dépourvus de toute lueur hormis le faible halo de la lune perçant à travers les frondaisons. Arrivé à l'orée des arbres, il s'arrêta et se retourna.

Suis-moi ! ordonna-t-il en poursuivant son chemin.

Sans réfléchir, Adèle s'engagea à sa suite, prenant soin de ne pas esquinter ses genoux nus contre les fourrés bardés de ronces et d'orties. La démarche aussi mal-assurée que le Aràn, elle marchait à pas feutrés et évitait les racines sinueuses ou les cailloux effilés. Pour ne pas tomber, elle s'appuyait contre les troncs d'arbres. De la vapeur chaude s'échappait de sa bouche ainsi que du bec d'Anselme dont les yeux noirs balayaient les environs avec anxiété.

Ils marchèrent près d'une demi-heure, quittant les sentiers pour s'engager dans des coins plus hasardeux, jonchés de boue et de tapis de mousse. Puis ils arrivèrent aux abords d'une clairière aux herbes hautes dissimulées par le brouillard et balayée par un vent frais continu, pénétrant les chairs en profondeur. Au centre, un immense chêne trônait avec majesté. Un trou béant se tenait sous la cime, proche des larges ramures, habité dorénavant par un couple de hiboux grands ducs.

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