Les mystères de la sensitivité

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Les premiers rayons du jour perçaient à travers les vitres recouvertes de buées. Ambre ouvrit un œil et se redressa avec lenteur. Elle passa une main sur ses yeux et étudia cette pièce aussi lumineuse qu'ordonnée dont les fenêtres s'ouvraient sur les jardins. Cinq photos joliment encadrées décoraient le bureau. Elle se leva en toute discrétion et alla les observer de plus près.

La première présentait Alexander et Judith lors de leur mariage. Les époux se tenaient sur le parvis de la mairie, au pied d'une statue de lion, le visage grave. Ni l'un ni l'autre ne semblait ravi de leur sort.

Sur la deuxième, elle esquissa un sourire à la vue de son éternel fiancé vêtu de son costume universitaire, un diplôme à la main. Ses lèvres retroussées en coin dévoilaient sa fossette si caractéristique.

La troisième fut celle qui l'intrigua le plus. Elle représentait une jeune femme d'environ vingt ans aux cheveux châtain clair bouclés descendants jusqu'aux épaules. Sa robe à motifs floraux épousait les contours de sa silhouette aux formes généreuses. Assise sur le muret de la roseraie, en plein milieu des fleurs, la demoiselle donnait un baiser sur le museau de la licorne.

Qui ça peut bien être ? Sa sœur ? Non, elle est trop différente de lui. Une amie ou une ancienne compagne ? Peut-être... après tout, il a près de quarante ans, il a dû en avoir des relations dans sa jeunesse. Surtout que la photo semble datée.

Elle porta son intérêt sur la photo suivante. La quatrième, en monochrome, figurait un homme d'aspect sévère âgé d'une trentaine d'années qu'elle identifia comme étant Ambroise. L'absence de couleur accentuait son teint pâle, contrastant avec le noir intégral de ses habits, de ses cheveux ainsi que de ses iris. Il portait une livrée sur laquelle étaient épinglées les armoiries von Tassle et son médaillon, trop petit et décoloré pour être réellement visible.

Et enfin, la cinquième illustrait une femme d'une trentaine d'années qu'Ambre devina être la mère d'Alexander, Ophélia, la rapprochant du tableau accroché dans le hall d'entrée. Contrairement à ces aranéennes aussi froides que hautaines, la baronne affichait un sourire radieux. Son visage était d'une douceur comme rarement il était possible d'en voir avec ses yeux sombres bordés de longs cils en accord parfait avec ses cheveux bruns bouclés. Un grain de beauté situé juste au-dessus de sa lèvre lui conférait un charme indéniable. Elle se tenait dans le salon, en somptueuse robe de bal, assise devant le piano. Le petit Alexander était dans ses bras, noyé dans les jupons de sa mère.

C'est vrai que je n'ai jamais vu ses parents et qu'il ne m'en a jamais parlé, c'est à croire qu'ils sont morts. Remarque, c'est ce qu'il m'a semblé comprendre hier lorsqu'il m'a dit que le marquis était son plus proche parent. Je me demande qui est la fille et pourquoi Ambroise est là lui aussi. D'ailleurs, pourquoi n'y a-t-il pas de photo de son père ?

Elle tourna la tête et porta son regard sur l'homme encore profondément endormi. Il était allongé sur le ventre, le dos et les bras en dehors des couvertures. Elle se pinça les lèvres et s'approcha afin de l'examiner de plus près. Le dos était tout aussi meurtri que le ventre. Plusieurs cicatrices, souvent bénignes, parsemaient son corps zébré et une autre balafre de quatre griffes le parcourait de haut en bas. Les larmes lui vinrent aux yeux. Son estomac se noua tant elle fut envahie par la culpabilité ; cet homme avait essuyé les pires douleurs, combien savaient pour lui ?

Par Alfadir ! Mais qui vous a fait ça ? Je comprends mieux pourquoi le Féros ne l'effraie pas... pourquoi je ne l'effraie pas.

Elle s'enveloppa grossièrement de sa robe, prit ses chaussures et s'en alla à pas de velours rejoindre sa chambre. Quelques instants plus tard, elle descendit les escaliers afin de prendre l'air, vêtue d'un jean et d'un pull moulant. Le temps était lourd, l'orage menaçait. Les pâles rayons du soleil se diffusaient à travers la brume, rehaussant l'éclat des gouttes de rosée déposées sur l'herbe.

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