Apprivoisement

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Ambre passait l'entièreté de ses journées au salon, ne sortant que pour manger, dormir ou jouer avec sa petite sœur qui, contrairement à elle, passait tout son temps libre dans les jardins lorsqu'elle n'avait pas école. Dès lors, Alexander n'eut plus l'occasion de se retrouver seul dans sa pièce.

Pourtant, même lorsqu'il travaillait sur des dossiers épineux, il ne semblait pas agacé par l'omniprésence silencieuse de la jeune femme. Celle-ci se contentait de lire ouvrage sur ouvrage, prenant des notes et ne levant la tête que pour boire quelques gorgées de thé ou de café. Elle était étrangement calme et attentive.

Quand il écrivait, il ne manquait pas de jeter un œil en sa direction et se rendit compte qu'il prenait plaisir à l'observer autrement que pour un but scientifique ou comme un simple fantasme.

Cette pensée de la savoir si près de lui le troubla. L'intuition qu'il avait eue à Meriden au sujet de sa petite proie se révélait juste, hélas ! Il eut un arrière-goût très amer à l'idée même de penser qu'elle avait sur lui une influence qui pourrait totalement le décontenancer, voire le torturer, s'il ne parvenait pas à ses fins avec elle.

Était-ce de l'amour ? Non, impossible, l'homme s'était juré de ne plus retomber dans ses bassesses, trop de tourments étaient à déplorer. Il ne pouvait se résoudre à souffrir à nouveau, à suturer cette plaie purulente qui l'avait si longtemps rongé et qui, même encore aujourd'hui, ne cessait de le hanter.

D'autant que cette gamine là, cette petite noréenne de la moitié de son âge, une rustre farouche sans aucune convenance, ne saurait convenir à sa personne, ne serait-ce que par respect pour ses valeurs si chères. Il serait fou de songer à l'avoir auprès de lui éternellement, en tant qu'égale ; son égo et sa notoriété allaient une nouvelle fois sombrer s'il envisageait cela.

C'était impossible, fichtrement inconcevable ! Néanmoins, il ressentait à chaque instant la chaleur de son corps se presser contre lui lorsqu'il l'avait ramenée deux mois auparavant. Il sentait davantage le désir poindre en notant son attitude chaque jour plus naturelle et désinvolte.

En effet, sans qu'elle s'en rende compte, cette dernière se tenait de plus en plus avachie sur la méridienne lorsqu'elle lisait. Sa robe noréenne, souvent blanche et légère, retombait nonchalamment le long de ses jambes et laissait dévoiler ses cuisses bardées de taches rousses, fièrement mises en valeur par les tissus d'assises en velours vert. Son bras, dont les cicatrices des crocs étaient encore visibles, était presque guéri. Elle pouvait de nouveau agripper les livres de ses doigts effilés qu'elle utilisait pour caresser, d'un geste machinal, les couvertures lors de la lecture.

De même que se moquant éperdument de sa toilette, elle attachait ses cheveux roux qui ondulaient anarchiquement, telle une crinière. Cette coiffure lui donnait un aspect sauvage et félin accentué par la ride du lion, le plissement de son nez ou son mordillement des lèvres sous la concentration.

Pour égayer encore plus sa personne, d'intenses rayons lumineux provenant de la fenêtre par ces jours de beaux temps semblaient se concentrer sur elle et la baigner d'une éblouissante clarté chaude. Pour finir, étant donné sa présence quotidienne, elle embaumait la pièce de son parfum floral, aux notes de jasmin prononcées, que son hôte trouvait fort agréables et distrayantes.

Pour se changer les idées et éviter de s'attarder sur le magnifique tableau qu'elle lui offrait et dont il ne pouvait jouir présentement, Alexander se mit à relire les nombreux traités. Ces écrits, terriblement ennuyeux et rébarbatifs, détaillaient les relations commerciales entre Norden et Providence ainsi qu'entre le territoire aranoréen et les Hani.

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