Chapitre 29 Wagner

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10 janvier 1939.

Aujourd'hui est un jour de gloire pour l'Allemagne et pour Berlin. J'assiste en compagnie de Franz à l'inauguration de la nouvelle chancellerie du Reich, construite et imaginée par un privilégié d'Hitler, Albert Speer. Cette grande bâtisse ayant pour but d'intimider les étrangers, d'un style grec disproportionné accueille tous ceux qui ont participé à son établissement. J'ai été convié grâce aux fonds monétaires que j'ai avancé, tandis que mon ami a pu m'accompagner grâce aux repas qu'il a pris le soin de livrer aux ouvriers.

Je ne sais combien de personnes se tiennent devant les quatre murs célébrés, tous en extase devant les magnifiques statues de 3 mètres 50 de haut, à la gloire de l'empire nazi qui ne cesse de croître. L'architecte Arno Brecker a fait un excellent travail pour décorer la cour d'honneur, représentant " le Parti " et " l'Armée ", que la plupart ici appellent respectivement le porte glaive et le porte flambeau. Je fais à mon tour partie de ce troupeau aux étoiles dans les yeux face à la création d'un autre être humain.

De là où nous sommes, je n'arrive pas à reconnaître les hauts dignitaires, je parviens à discerner le Führer nous saluant le bras droit levé. Nous répétons son geste, claquant le talon, tous synchronisés. Tous subjugués par sa présence. Malgré sa petite stature et l'air bohème que certains lui prêtent, tout le monde serait prêt à laisser sa vie pour qu'il continue à régner.

« Rafe... Fais au moins semblant d'écouter. »

Je me reprends à la remarque de Franz. Le dos droit, le regard figé sur Hitler qui transpire déjà à grosses gouttes en hurlant ses propos à sa foule, je me force à rester concentré.

Je me force à ne pas repenser à lui. Lui qui ne cesse de hanter mes pensées. Lui qui a embrassé tout mon corps. Lui à qui parler devient presque naturel. Lui qui m'a fait jouir malgré moi. Lui qui a vu le pire et a choisi de passer toute la nuit dans mes bras.

Je serre les dents, l'estomac nouée d'une sensation inexplicable. Comment suis-je censé me considérer normal alors que toutes mes barrières se sont envolées face à un homme ? Je devrais vraiment penser à aller faire un tour à l'asile, mon père a finalement raison quant à ma folie.

Le discours de notre chef n'est qu'un lointain souvenir face à cette nuit endiablée il y a neuf jours de ça. J'ai beau vouloir l'oublier, tout me ramène à lui. Chaque fois que je me tiens à côté de lui, chaque fois qu'il fuit mon regard, chaque fois que je dois lutter pour mon professionnalisme en public. Klaus me rend dingue, tellement dingue que je sais que ça causera ma perte.

« Qu'est-ce que tu t'es fait aux mains ? Me demande Franz dans un murmure. »

Mes yeux se posent sur mes phalanges meurtries dans un affreux mélange de crevasses, de sang séché et des croûtes noirâtres. Je serre les poings, puis regrette aussitôt face à la douleur lancinante de l'épiderme mutilé. Je me revois soudainement dans cette maudite salle que j'ai confectionné à titre préventif, pour éviter un quelconque excès de colère sur autrui.

Catherine épongeait le sang séché sur mon visage comprimé par la haine, le torchon essuyait ma peau salie du liquide poisseux de celui qui avait osé insulter Sofia. Son regard émeraude me fit face.

« Enfin Rafe... Pourquoi tu t'es battu ?

Il avait dit du mal de Sofia quand elle est venue me chercher au club d'équitation. »

Elle serre les dents, ne supportant pas elle non plus qu'on touche à sa précieuse dame de compagnie. Ses gestes devinrent beaucoup plus doux, mon héroïne prit un air à la fois fier et moralisateur. Sa main gantée m'ébouriffe les cheveux.

Le SociopatheOù les histoires vivent. Découvrez maintenant