Chapitre 51 Klaus

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Fin novembre 1942, au milieu d'unetempête de neige.

Le blizzard ricoche sur les fenêtres très mal isolées, provoquant un sifflement continu dans mes oreilles qui bourdonnent, j'essaie de les cacher en appuyant l'oreiller sur ma tempe, rien n'y fait. Je me tourne à nouveau dans le lit de fortune, que Svetlana a eu l'amabilité de nous fournir, le peu qu'elle avait à offrir. Il fait un froid à faire nécroser le plus solide. Je me redresse, fatigué d'essayer de dormir, je regarde le paysage nocturne criblé de neige, profitant de la solitude de ma chambre.

Je repense à Rafe, et à la conversation que nous avons eu à son retour de convalescence. Je m'en veux terriblement de ne pas avoir pu le regarder dans les yeux, mais c'était si dur... C'est lui qui s'est jeté sur cette mine, en ayant conscience de sa présence. Il n'a pas hésité à me jeter sur le bas-côté et se retrouver défiguré à ma place. Une partie de moi le déteste pour avoir fait preuve d'un héroïsme romantique comme celui-là, mais l'autre pourrait m'agenouiller face à lui, le vénérer comme il m'a vénéré en se prenant cet obus, pour moi.

Cette cicatrice sur son visage me nargue, elle me rappelle que c'est ma faute et celle de ma faiblesse qu'elle est apparue. " Tu avais qu'à réagir plus vite ! ", semble-t-elle me dire. Je regarde Wagner, qui ne me quitte pas des yeux lui non plus. Mon pauvre Rafe... Il a l'air tellement livide, dénué de toutes émotions, juste une coquille vide forcé de se tenir sur ses deux pieds. Nous sommes tous les deux enfermés dans ce qui me sert de chambre, livrés à une intimité la plus totale.

« C'est si laid que ça ? Pour que tu n'arrives pas à me regarder dans les yeux plus de trois secondes.

Rafe... Je... Non...

Tu n'as pas l'air très convaincu, ajoute-t-il d'un ton moqueur, déçu et moqueur à la fois. »

Je finis par m'installer sur le matelas grinçant sous mon poids, mon front appuyé sur mes mains, je commence à remettre en cause tous mes choix jusqu'ici. Comment je peux me montrer aussi odieux en ne le regardant pas dans les yeux ? Comment je peux me laisser ronger par la culpabilité ? Lui n'a pas hésité, lui n'a rien remis en cause quand il a senti son épiderme se déchirer sous la puissance de l'obus...

« Pourquoi tu as fait ça ? Je m'emporte soudain, lui refaisant face. Pourquoi tu as fait ça ?! Tu aurais pu mourir, merde !

Je sais...

Mais alors, pourquoi ?! J'en vaux pas la peine, je...

Parce que mourir en t'ayant connu vaut plus que de vivre en t'ayant perdu. »

Il ne m'en a pas fallu plus pour je me jette sur lui, que je le serre fort dans mes bras jusqu'à ce qu'il me supplie d'arrêter. Nous nous sommes embrassés, en silence, mais violemment, dans un urgence animale, comme si c'était la dernière fois que nous pouvions échanger un baiser. Nous sommes embrassés jusqu'à ce que le souffle nous manque, jusqu'à ce que nous ayons une sensation de fièvre idyllique.

J'esquisse un petit sourire, réalisant que Rafe Wagner causera ma perte. Il est à la fois ma force et ma faiblesse, ma condamnation aux enfers et ma rédemption, mon pilier et celui qui me fait perdre mes moyens. Je n'aurais jamais pensé que l'embrasser une fois sous la pluie nous emmènerait à ce stade là, un stade où nous dépendons mutuellement l'un de l'autre. Un stade où si l'un meurt, l'autre se laissera mourir, peu importe le stade que cela prendra. J'en viens à être fier de lui, de tout ce qu'il a accompli depuis que je le connais, depuis que je suis devenu son bras droit il y a déjà quatre ans. Il s'est ouvert aux autres, il s'est ouvert à lui-même, il sait un peu mieux gérer sa colère, il a réussi à développer un quasi instinct paternel à l'égard de la division.

Le SociopatheOù les histoires vivent. Découvrez maintenant