Chapitre 7 Wagner

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Ignorant le nœud dans ma gorge, accentué dès que mes pensées divaguent vers la haine du petit Hoffmann face à moi, je continue de siroter mon schnaps.

Mes yeux sont inlassablement rivés sur lui, cela m'effraie de le regarder autant et je pense l'effrayer aussi. Ses prunelles de saphir me sondent, ils sont plus brillants que d'habitude, à cause de la quantité phénoménale d'alcool qu'il ingurgite. Ses lèvres s'humidifient par la bière, il les frotte d'un revers de main avant de passer ses doigts dans sa chevelure de neige. Hoffmann sourit, je ne comprends pas pourquoi, la tête penché en arrière en fixant un point inconnu sur le plafond, il sourit.

Mon cœur bat à un rythme plus irrégulier que d'habitude. Je décide d'aller me resservir un verre, histoire de ne pas rester figé sur mon bras-droit. Ce même bras-droit qui a la fâcheuse tendance de jouer avec mes nerfs. Cependant, comme si c'était un besoin vital, je le regarde, encore. J'analyse sa ressemblance avec elle, la même façon de voir les choses, le même physique envoûtant, digne d'une sirène en haute mer. Ils se ressemblent trop, mais la généalogie ne les a pas rassemblés, l'un est allemand, l'autre était russe. Je balaye ces pensées, comme à chaque fois qu'elles m'envahissent, elles me poussent à me détruire, mentalement et physiquement. Je ne supporte pas de penser à cette femme, qui a causé la perte d'une grande femme que j'ai aimé plus que ceux qui partagent mon sang.

« Capitaine... souffle le blond. Vous revenez ou vous comptez rêvasser encore longtemps ? »

Je le remercie intérieurement de m'avoir arraché à ma torture mentale. Je prends un énième verre avant de me poser en face de lui. Je pose les yeux sur le liquide ambrée remuant dans le récipient de cristal.

« Vous savez Capitaine ?

– Dis-moi.

– Vous pouvez tuer qui bon vous semble, j'en ai rien à faire. Car vous, vous avez le cran d'appuyer sur la gâchette. »

Je cache ma surprise face à ses dires, surprise hypocrite face à la quantité d'alcool qu'il a ingéré sans difficulté. Ses joues roses m'indiquent qu'il a bientôt atteint ses limites, tout comme ses prunelles bleues luttant contre les bras de Morphée.

« Je ne dirai pas que c'est du courage, on nous a programmés pour tuer, c'est tout. C'est peut-être toi le courageux de l'histoire au final.

– Vous dites que des conneries, répond-il d'une voix à moitié endormie. »

Il baille, comme un enfant et tout à coup, je me revois il y a plus de vingt ans, seul, malheureux, incompris, endormi dan ses bras. Ses bras doux de femme qui sentaient le jasmin, la propreté, un luxe que je n'avais jamais connu. Elle m'avait offert le luxe que ma mère n'a jamais pu m'offrir, celui de m'endormir dans des bras aimants, sous des caresses dans mes cheveux. La voilà encore, des années après, à hanter mon esprit alors que je suis sûre qu'elle est encore sous le joue de son mari. C'est à cause de ce monstre que j'ai dû repartir en Allemagne, quitter la richesse que m'avait apporté York, revenir à la sombre réalité. C'est en partie à cause de lui que j'ai dû rentrer dans la SS, je n'avais que cette option pour échapper à mon géniteur.

Ma gorge se serre. Ma sauveuse m'a sauvé en me laissant partir, elle a préféré me laisser partir, me sauver et se condamner elle.

« Capitaine ? A quoi pensez-vous ?

– Au fait que tu vas arrêter de boire, je vais t'appeler l'alcoolique bientôt.

– Oh arrêtez... soupire-t-il avec un léger ricanement. Je suis très bien où je suis, et puis... Je suis tellement à plat que vous pourriez me tuer facilement. »

J'essaie de cacher ma déception, voyant que Hoffmann me considérera encore un bon moment pour un meurtrier. Si seulement il pouvait comprendre que cette femme allait parler, c'est toujours comme ça. Ceux qu'on pense les plus innocents, c'est ceux qui vont nous mettre dans une situation infernale. Je ne saurai dire pour quelles raisons, mais je ne supporte pas qu'il me voie ainsi. Je veux être une meilleure personne, parce qu'elle-même l'est devenue lorsque la Beauté de l'Est est apparue dans sa vie.

Le SociopatheOù les histoires vivent. Découvrez maintenant