Chapitre 56 Klaus

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Si nous pensions être les maîtres de l'Europe, cette vision a très vite changé dès que nous avons posé nos pieds sur le sol parisien, il y a déjà plus d'un mois. La France, c'est à la fois le paradis et l'enfer sur Terre. Nous y sommes considérés comme des dieux, nous sommes tellement vénérés que nous venons à en oublier que chaque habitant a le pouvoir de nous arracher la vie sans qu'on s'en aperçoive. C'est un pays qui ne s'arrête jamais de vivre. Le soleil sourit à nos plus grands collaborateurs tandis que la Nuit soutient les Résistants. Voilà ce que j'admire dans cette nation, malgré notre entrevue à Montoire d'il y a quatre ans, je n'ai jamais vu pays plus libre. Il nous offre le luxe et la mort sur un plateau d'argent.

« C'est joli ici, me coupe Günther en admirant la place dite du Trocadéro.

– Effectivement, j'acquiesce en détaillant l'architecture de la Tour Eiffel. »

Cela fait quelques heures que nous surveillons l'entrepôt de rationnement, où une foule interminable s'accumule. Voilà le parfait mélange de cette nation. Au milieu du luxe, voilà des gens désespérés, le teint blafard, les yeux dénués de toute émotion, patientant comme du bétail de recevoir leur nourriture. Deux jeunes hommes prennent leur ticket de rationnement, leur rendant de petites boîtes à manger. Aucun d'eux n'ose nous regarder dans les yeux, leur peur exalte plus d'un SS ici.

« Bon allez, intervient mon ami, j'en ai marre de surveiller des bons à rien.

– On n'a rien à faire d'autre.

– On va aller visiter ! »

Son entrain est très rapidement coupé par une explosion à quelques mètres de nous. Je tourne la tête, découvrant une berline allemande projetée dans les airs, provoquant une valse de débris enflammés tout autour de la carcasse. Des cris effrayés fusent dans tous les sens, certains courent pour éviter de recevoir un petit morceau de carrosserie sur la joue. J'en viens à les trouver ridicules, tous ces bourgeois apeurés d'abîmer leur visage. Savent-ils ce que ça fait de sentir un obus exploser à quelques centimètres de ses yeux ? Je ricane, courant à mon tour vers l'épicentre de cette horreur, courant après le Résistant assez courageux, ou trop idiot pour agir en plein jour.

J'accélère le rythme de mes foulées, constatant que je fais face à un athlète. Je bifurque dans plusieurs avenues, passant sur le pont Iena, percutant plusieurs civils sur ma course effrénée. Je tire quelques fois, mais cela ne fait qu'accélérer sa cadence déjà intense. Cet idiot court dans les endroits les plus bondés de Paris, il n'a pas l'air de se rendre compte que sa vaine tentative attire d'autres soldats s'incrustant dans la chasse aux Résistants.

J'aperçois d'autres SS à quelques mètres devant, je tire encore, frôlant de près sa tête. La portée de mon arme n'est pas assez grande... Je me maudis de ne pas être plus athlétique, c'est la première fois qu'écrire me porte autant préjudice. Je tire à nouveau. Le rebelle, touché au niveau de la cheville titube. Je n'en reviens pas, ce français est fou, il continue de courir, encore, même en étant boiteux, il n'a pas l'air de vouloir lâcher l'affaire. Je diminue la distance entre nous. Ma main l'attrape par sa capuche, je le tire en arrière. Il grogne.

« Ce n'est pas très malin, ça, je le nargue en l'amenant vers le camion le plus proche. »

Le français se débat avec la force d'un taureau, je parviens à le maîtriser en appuyant sur la peau déchirée de sa jambe gauche. Malgré mon piètre de niveau dans leur langue de sauvage, je comprends vite qu'il doit m'insulter alors que je le jette à l'arrière du véhicule. Je me place au volant, ne réagis pas face à ses œillades noires. On se déteste mutuellement. Nos deux armées se sont affrontées il y a quelques années, et je suppose que la grande fierté de l'Hexagone digère mal la défaite. Wagner aurait dit que ce n'est qu'un revers de médaille.

Le SociopatheOù les histoires vivent. Découvrez maintenant