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- Béné, putain, dépêche-toi. T'es pas la seule à avoir le monopole de cette pu...

- Redescend, frangine, ton Bob attendra !

Je rêve, retenez-moi de plonger ma frangine dans ma baignoire et d'y laisser tomber – par inadvertance – le sèche-cheveux.

Je suis grave à la bourre, et je ne peux pas me permettre de me pointer au taf avec ne serait-ce qu'une demie seconde de retard. J'en ai chié pour avoir ce job, déjà que c'est assez galère de trouver du taf en ce moment. Avec leur putain de crise, on entend que ça. En attendant, des milliers de gens attendent de pouvoir taffer et bouffer.

Bon, moi ça va, je n'ai pas à me plaindre. J'ai beau « avoir un travail », enfin vingt heures semaines réparties sur deux jobs, ce sont encore mes parents qui me logent, me mettent en machine mes frustes et me donnent à bouffer quand mon ventre gargouille à plus en pouvoir.

Mais le seul truc, celui qui me fait me lever à n'importe quelle heure de la journée ou de la nuit, c'est mon groupe. Maël, Simon et James me donnent la motivation pour me bouger le cul et croire qu'après la galère, il existe quelque chose.

Le rock, c'est toute ma vie. Dans mon biberon, il y en avait déjà. Je crois même qu'en cherchant bien, il devait en rester dans le placenta à ma naissance. C'est de mon père que je tiens mon amour pour le rock, et ses dérivés. Ce serait con de dire que je n'aime que le rock, vous allez m'imaginer en santiag, blouson cuir et bandana dans les cheveux. Mouais, bon ok, bof le cliché. Reste qu'il est important de préciser que je ne m'arrête pas qu'au rock, mais au pop-rock, au métal, au punk et j'en passe. Sinon, je me ferais chier avec mes trois potes pendant les répèt'.

Mon premier souvenir « rock » remonte à mes quatre ans. Quand ma mère s'est avancée vers moi avec mon gâteau d'anniversaire, surmonté d'une grosse bougie en forme de 4, mon père a empoigné sa gratte et chanté Happy Birthday, à la sauce des Beatles. Une rareté m'avait assuré mon père, engoncé dans son falzar à pinces, sa grande mèche rabattue sur le côté et de vieux favoris recouvrant ses bas-joues, qui aujourd'hui, feraient vraiment oldschool.

Mais en vrai, mon papa c'est mon héros. Oldschool ou pas, je l'aime et je ne le remercierais jamais assez pour l'héritage musical qu'il m'a donné.

Ma mère, c'est un peu plus tendu. Elle a toujours adoré les vieilles chansons françaises, hyper tristes avec le petit grésillement du tourne-disques en arrière fond. Pendant que mon père était en déplacement avec son travail, elle tentait de m'exorciser en m'abreuvant d'Yves Montand, Marcel Mouloudji ou encore Edith Piaf. Aussi lointain que mes souvenirs remontent de cette époque, je me voyais aller bouder dans mon coin et réclamer le retour de papa et de sa « zizik ».

Me revoilà dix-neuf années plus tard, un mètre et quelques de plus, du poids en plus mais pas forcément super bien réparti, et sacrément à la bourre.

- Putain, Frangine, si je me fais virer, je te promets que je t'étrangle avec la corde Sol de ma basse et te tabasse avec les baguettes de James.

- Cause toujours, Ambre...

Ouais, Ambre c'est moi. Ok, c'est pas très rock'n'roll tout ça, je le conçois. Allez savoir pourquoi mon père m'a appelé du nom d'une pierre, et pas d'un prénom vraiment rock comme il aurait pu très bien le faire. Ouais bon, à part Courtney ou Kim, le choix était restreint. Si j'avais été un petit mec, le choix lui aurait semblé bien plus évident, quoi que pas tant que ça, parce que je n'aurais pas pu porter tous les prénoms du monde.

- On revoit quand ta tête de fouine, frangine ?

- Quand ta tête de rate aura disparu de ma vue !!!

En guise de salut, ma tendre et adorable sœur me tire la langue. Quelle gamine.

Ma basse avec moi, je file rue de la Gaieté où m'attend, surement déjà impatient Bob, mon patron. Il tient depuis ses vingt ans sa boutique de disques, qu'il a nommé Bobino Disques, référence au théâtre Bobino, à deux pas. Ouais, il ne s'est pas foulé.

J'en ai pour trois minutes à pied, normalement, mais la basse avec moi, disons que le temps s'allonge. Je dois éviter d'empaler avec le manche tous les gens que je croise jusqu'à arriver à destination. Le tout d'une main, puisque l'autre est occupée par ma cigarette.

- Salut, mon p'tit bout !

J'arrive enfin chez Bob, avec exactement... vingt-deux secondes de retard. Pas de châtiment corporel de réservé pour ma frangine. « Mon p'tit bout » est ce magnifique surnom dont m'a affublée mon patron.

- Salut Bob, lui réponds-je, enjouée avec le sourire.

Bah oui, je dois être la seule dans tout Paris à débarquer au taf le sourire aux lèvres. Parce que plus que tout le reste, après ma basse, ma famille, mon ordinateur, mes potes, notre groupe, et mes nouvelles pompes, j'adore mon boulot !


De Rock et de FeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant