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La vengeance a été en effet terrible. Je ne m'étalerais pas sur le sujet, vous vous ferez votre propre idée de ce que je peux considérer comme une terrible vengeance. La seule chose que je veuille bien lâcher, c'est qu'il m'a supplié d'arrêter. Voilà.

Je suis en train de faire couler un café dans sa machine du siècle dernier. Elle fonctionne, mais à ce rythme-là, je ne suis pas certaine de pouvoir boire encore mon café ce matin. Plutôt que d'attendre bêtement à côté que le mécanisme capricieux fasse son taf, je descends nous (ou me, à définir) chercher des petits pains.

De retour, je pénètre dans l'appartement et je suis accueillie de la meilleure manière. Encore trempé par la douche, il est juste recouvert d'une serviette roulée autour de ses hanches fines. Les gouttes d'eau perlent sur son torse hâlé. Il se tient devant son armoire à la recherche de fringues propres et pousse quelques jurons bien placés quand la poignée du meuble reste -pour pas changer- dans sa main.

Pendant qu'il s'énerve, je prends le temps de l'observer et je me dis qu'il a vraiment une silhouette d'adolescent. Mais ce qu'il sait en faire, de ce corps, n'est pas digne d'un ado. Au contraire. Serait-ce cette femme, qui lui a tout appris, mais genre tout appris ?

Pour le moment, c'est moi seule qui profite de cette vue à en faire pâmer plus d'une. Conscient de l'effet niais qu'il a sur moi, la bouche ouverte, le sachet de croissant toujours dans la main, immobile, il décide d'en faire des tonnes. Il passe sa main, lentement, dans sa tignasse mouillée qu'il plaque en arrière. Elle reste pas sage longtemps. Et moi je me contiens pour le rester.

Toute façon, mon téléphone, avec sa sonnerie tonitruante, sélectionnée par Sneaz, met fin brutalement à ce beau moment visuel. Je regrette de pas avoir pris avec moi mon vieux Polaroid, ou d'avoir acheté un téléphone avec appareil photo. J'aurais immortalisé à coup sûr ce corps qui a fait vibrer le mien, y a encore pas une heure.

- Ouais ? j'introduis, blasée, dans le combiné.

- C'est Anthony.

Argh, je me cripse. Mes doigts se resserrent sur l'appareil.

- Ouais, et ?

- On t'attend, là. Ça fait plus d'une demi-heure.

- Mais c'est pas demain la session avec Orelsan ?

- Ça a été avancé à aujourd'hui.

- Nooooon ?

Y a une couille dans le potage. Comment se fait-il que je sois la dernière au courant ?

- Si, je t'ai fait un sms lundi après-midi. Bon, soupire-t-il, tu te ramènes le plus vite possible ? Sinon je ne te garantis pas que Bruno te garde.

Je raccroche, en état de nerfs intense. Pour un putain de message qui est passé à l'as, je risque une place d'enfer ? Je jette derrière moi les petits pains, sans m'assurer s'ils atterrissent sans faire trop de dégâts. Je m'habille comme hier, pas le temps de choisir une autre tenue. Je vide mon sac à dos de tout ce qui n'est pas utile pour le coup, et prends le plus important avec moi : le contrat, le bigo, mes clopes et mon pass. J'embrasse furtivement Ken qui n'a l'air de pas trop comprendre mon agitation soudaine.

Je dévale l'escalier, mon cœur bat à tout rompre. Je transpire à grosse goutte. De peur. D'effort. Par chance, les transports en commun se goupillent bien. Dans le métro, je lis en diagonale les papelards donnés par Bruno, que je signe sans vraiment comprendre les clauses ou mon niveau d'engagement. Dans le bus, je cherche le fameux message. Mais rien. Celui de Sneaz m'invitant à faire du shopping. Le suivant, celui du notaire qui m'indique les coordonnées pour la crémation de Bob. Au milieu, le vide, rien, nada. Peanuts. Je hais plus que tout mon opérateur ainsi que mon nouveau bigo. Je vais expliquer ça comment à Bruno ? J'ai intérêt à briller derrière mon piano, aujourd'hui, si je veux avoir une chance qu'il ne me foute pas à la porte.

De Rock et de FeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant