21.

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Posée dans le canapé dans le petit salon chez Antoine, après l'open-mic' et après avoir traversé à pied tous les boulevards jusqu'au sien, je m'écroule de fatigue. Je demande à l'hôte si je peux emprunter sa salle de bain le temps de me « refaire une beauté », enfin disons plutôt évaluer les dégâts causés par la marche et le concert sur ma tronche. Il zieute mon pull trempé, et me tend celui qu'il range dans son sac à dos, de secours, que je prends avec plaisir.

Contrairement à ce que je croyais, je rentre pile dedans. C'est ultra gênant. Mes seins mettent en relief à l'exagération le sigle de la marque inscrite en gros sur le devant et les manches recouvrent à peine mes mains. Je jette un rapide coup d'œil dans le miroir et remarque avec effroi que mon bleu, encore un peu présent sur le front s'est fâché avec le fond de teint appliqué par ma sœur cet après-midi. Je ne pensais pas que ce bleu squatterait autant de temps, et évidemment, j'ai beau chercher dans sa microscopique salle de bains, je ne risque pas de trouver ce que je cherche.

Ils sont tous défoncés ou bourrés, ils ne remarqueront rien. Je vais éteindre discrètement la grande lampe du salon pour laisser ses deux spots au-dessus de la télé, ça devrait suffire à tamiser le tout.

Je me dirige tête baissée, droit vers le fameux interrupteur, mais je rencontre de manière tout à fait fortuite quelqu'un sur mon passage. Je reconnais le gros pull en laine, et la fine chaîne argentée dépassant du col. Comme si cela servait à quelque chose, je reste tête baissée. Mais à part retenir son attention, je ne fais rien d'intelligent. Son pouce et son index viennent pincer mon menton et le relève sans difficulté. Merde, coincée.

- Ambre, c'est quoi ce bleu sur ton front ? T'as ken avec un Schtroumpf ?

- Très drôle, je me suis prise une porte.

Rien de plus vrai, en plus. Je croise les doigts pour qu'il y croie. En attendant, ses deux doigts retiennent toujours mon menton et j'aime cette sensation de faire ce qu'il me dit de faire. Alors qu'en vrai, je déteste. Mais venant de lui, ça me plait.

- Sérieux Ambre, il insiste.

- Ouiii, sérieux, Nek, promis. Je peux aller me chercher à boire ?

En me lâchant, ses yeux inquiets viennent se poser sur mon pull, recule d'un pas avant d'aller vers un balconnet derrière le canapé. Pfff, je suis fatiguée de devoir supporter ses réactions, toutes différentes les unes des autres. Et si mystérieuses. Il m'a perdu là, clairement. Qui est-il, ce Ken ?

Pour lever le mystère, j'enfile la première veste de mec qui me tombe sur la main, et file le rejoindre. Il ne se retourne pas et continuer d'observer la vie parisienne derrière le boulevard longeant l'appartement d'Antoine.

Je me pose à côté de lui, dans la même position que lui. Histoire de détendre l'atmosphère, je tente :

- Pas mal, tes pompes, mec !

- Je les avais vues sur une meuf, ça lui allait bien, alors je me suis dit que sur moi aussi.

- T'as dû faire agrandir le contour des chevilles pour qu'elles rentrent, non ?

Il laisse échapper malgré lui un petit ricanement.

- C'est canon, Paris, depuis les toits. De là-haut, j'ai l'impression que tous nos émois passent par la petite trappe, pour nous laisser seuls avec nos doutes et nos questions, je chuchote.

- Mmh, t'as raison.

- J'ai toujours raison, non ?

- Toi t'as pas de problèmes pour rentrer dans tes chaussettes ?

- Non, grand malin, y a l'élastique !

- Non c'est faux ; tu veux un exemple ? Quand tu m'as foutu à la porte de chez toi. Et qu'après ça, on aurait cru que t'avais cané.

De Rock et de FeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant