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J'ouvre un œil. Puis l'autre. Je suis déjà contente que j'y arrive. La silhouette massive, mais salutaire de mon père est au-dessus de moi. Sa main caresse ma joue. Son regard bienveillant caresse mon visage. Je me relève. J'entends depuis le salon Brel chanter qu'elle voulait voir Vesoul, mais qu'il a terminé à Vierzon. Il t'en arrivait des trucs, à toi, je pense intérieurement.

- Il est presque midi. Si t'as faim, ta mère a cuisiné un hachis parmentier.

- Midi ? Oh putain. A 14 heures, j'ai la crémation de Bob.

Pas faim. Une barre en fer squatte mon estomac depuis hier soir. Je mesure ma chance de pouvoir ouvrir les yeux dans mon plumard, et pas abandonnée dans une ruelle sombre et sordide.

- Ah, c'est aujourd'hui ?

- Oui.

Je me relaisse tomber alors sur mon gros coussin. Je souffle. J'm'en suis sortie, mais une autre épreuve m'attend. On veut ma mort là, ou quoi ?

- Ça va aller, ma puce ?

- Aaah Papounet. S'il te plait. Arrête avec ce surnom ridicule. Ken s'y est mis aussi par ta faute.

Oups. Grillée.

- J'ai souvenir de t'avoir appelée comme ça qu'une seule fois. Samedi matin, en pensant innocemment que ma fille avait fait un cauchemar. Alors qu'elle était en compagnie de...

- C'est bon papa, je grince. J'ai bientôt vingt-quatre ans. J'en ai plus 16. Et puis on a été discrets.

- Pas tant que ça, sinon ton cri ne m'aurait pas alerté. Oh mon dieu, je préfère oublier ce que je viens de dire.

Moi aussi, Papou. Alors qu'il va pour sortir de ma chambre, il se retourne. Et froidement il me lance :

- Justement, tu as bientôt 24 ans et comme une adolescente irresponsable, tu crois bon de ramener sous notre toit ton copain, qui je dois avouer, ne me plait pas des masses. Alors je pense qu'il serait temps que tu prennes ton envol. T'es grande, non ? Et puis comme ça, tu pourras ramener tous les mecs que tu veux, chez toi !

Bim. Bam. Boum. Prend ça dans ta face, Ambre. La violence verbale de mon père me scotche sur place. Mais il a raison. Pendant encore combien de temps je vais vivre ici, quasi au crochet de mes parents, à me sentir encore enfant ?

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Je fais l'honneur de partager le hachis parmentier avec mes parents et ma sœur. Et son copain. Joshua. Ou Jacques, je sais déjà plus. Peut-être John ? Il regarde bêtement ma sœur, et bouge sans arrêt sa tête pour replacer sa grande mèche blonde. Quand l'un de mes parents le questionne, il répond, genre avec deux de tensions. J'essaie de faire semblant de m'intéresser à leur discussion mais franchement, avec toute la volonté du monde, je n'y arrive pas. Je ne fais que penser à hier. Hier soir. En bas de ma rue.

Pour un putain de lundi 28 mars 2011, il s'en est passé des trucs. Mais là comme ça, tout de suite, je sens moyennement le mardi 29. Entre la discussion avec mon père, ce repas pourri et la crémation de mon Bob, sans compter que je ne sais pas si Ken et moi, c'est toujours d'actualité, je suis plutôt mal barrée pour le trouver cool, mon mardi 29.

J'ai à peine fait honneur au hachis de ma mère, je n'ai pas réussi à trouver l'appétit suffisant pour finir l'énorme part qu'elle m'a servie. Par politesse, j'ai croqué dans une pomme pour dessert.

J'appréhende tellement de me retrouver devant le corps de Bob, qui se consumera dans sa grosse boite. Est-ce que son gros ventre va rentrer dedans ?

Je me laisse aller sous la douche, chaude et apaisante. Les trombes d'eau brûlante glissent sur ma peau, la rendant plus claire, plus respirable. J'ai beau la toucher à chaque fois que je prends une douche, j'ai toujours un infime espoir que ma cicatrice ait disparue dans la nuit. Mais elle sera là, à vie. Je pourrais vouloir renier mon passé, par tous les moyens, que je n'y arriverais pas, cette salope sera toujours là pour me ramener à la réalité.

De Rock et de FeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant