27.

4.4K 226 420
                                    

La tignasse en bataille, les yeux collés, l'estomac retourné, mon réveil me fait signe qu'il est grand temps de me lever si je veux me pointer à la répèt à l'heure. J'aimerais l'encastrer dans le mur, mais la perspective d'aller me déboiter autrement qu'avec de l'alcool et un pétard me ravit.

Ça fait quatre jours qu'on a pas répété, fêtes obligent. Et ça me manque déjà, la sensation grisante de mes doigts frappant les cordes, l'envie de tout fracasser pour rendre fière mon crew à moi, leur donner envie de se reproduire, même dans une salle de bains devant dix personnes.

Mon téléphone est resté sur le « bisous » de Ken de la veille. Il s'en est passé des choses pour un Noël. Je voulais en passer un normal, loin de celui que j'ai vécu l'an dernier. J'ai été servie. Ken à table avec mes parents, dans ma chambre à m'embrasser, dans la rue avec pour seule autre compagnie ma langue déliée et une bouteille de Jack.

Bizarrement, je n'arrive pas à me dire que je suis avec lui, ou une de ces phrases qu'utilisent les filles pour dire qu'elles sont en couple. Il m'a embrassé devant ses copains, et alors ? Parce que Framal venait de gentiment me draguer, rien de fou. Après ça, il est retourné parler avec ses copains, a échangé deux ou trois regards avec moi durant le reste de la soirée, et s'est permis de se foutre de moi quand je suis partie sans me proposer de me raccompagner.

En même temps, est-ce que j'ai envie d'être avec quelqu'un ? Surtout avec quelqu'un comme Ken ? Est-ce qu'il est celui qui me fera oublier Hugo, ou pire me fera regretter de m'être un peu trop rapidement emballée pour un garçon ?

Tout en me brossant les dents, vigoureusement pour rafraichir mon haleine matinée de vodka et de cannabis, tout en me scrutant dans le miroir, je me dis plusieurs choses, si vous avez de quoi noter :

1. J'ai vraiment une sale gueule aujourd'hui.

2. Enfin pas qu'aujourd'hui, je pense qu'un passage obligatoire chez le coiffeur s'impose.

3. Non, pas de coiffeur, je vais laisser James s'en occuper comme la dernière fois.

4. Est-ce une bonne idée ?

5. Est-ce que Ken aimerait que je coupe ma tignasse ?

6. Barrez la question numéro 5.

7. Est-ce que je dois espérer quelque chose de Ken ?

8. En ais-je vraiment envie ?

Bon, pour les points 7 et 8, faudrait que je me lève plus tôt pour trouver la réponse. Je ne sais même pas si j'ai envie de trouver une réponse. Je vivais très bien sans lui, ça fait à peine deux mois que je le connais, je peux très bien continuer mon chemin sans lui. Sans son rire. Ses vieilles blagues moisies. Son regard pénétrant et malicieux à la fois. Ses petites mains chaudes. Ses lèvres ourlées et douces.

Tu vois Ambre, t'es déjà sacrément atteinte du « syndrome Ken ».

Un syndrome, si ça s'atteint, on peut s'en défaire non ? Avec un peu de bonne volonté, de la force d'esprit, à occuper ses journées autrement que dans un terrain de basket glacial, sur un muret au bord du périph ou un studio maison aux vapeurs de shit. Comme aller se terrer au Mac Do des Halles, chez Bob et au local avec Simon, Maël et James.

Plan d'action : à démarrer dès aujourd'hui. De toute façon, il me l'a bien dit, il n'est pas là aujourd'hui, parfait. Profitons-en pour faire d'autres choses que penser à lui. A commencer par me trouver des fringues propres pour aujourd'hui – j'ai oublié de lancer une machine hier – et me prendre un café avant de rejoindre les garçons.

---

Enveloppée dans mon pull cachemire gris des Puces de Saint Ouen, mon jeans large fétiche et mes Puma, un vieux bonnet en laine suffisamment grand pour accueillir ma toison, vissé sur la tête, j'affronte le froid de ce 26 décembre pour aller à la répétition. En chemin, je croise ma sœur, au teint pâle et l'air pas franchement réveillé dans la bonne humeur. Aveuglée par je ne sais quoi, elle ne me remarque pas. J'ai beau faire de grands signes, tout en évitant soigneusement d'empaler avec ma basse le petit vieux qui marche à ma hauteur, elle ne me voit toujours pas.

De Rock et de FeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant