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- Madame, faut pas rester là. C'est dangereux.

- Je ne vais pas sauter. Foutez-moi la paix.

Je congédie un petit papy qui promène son clébard, un espèce d'avorton dégueulasse où on arrive pas à distinguer le cul de la tête. Il est déjà passé avant devant moi, et ça n'avait pas l'air de le déranger que je sois dans cette position.

Je me suis laissée transporter au gré de mes pas, dans les entrailles parisiennes, là où ma colère, ma frustration, ma tristesse, m'ont conduite. Et je me suis retrouvée sur le muret bordant le périphérique, pile à l'endroit où je m'étais retrouvée avec Ken le soir de Noël. Mes pieds balancent rageusement dans le vide, je ne quitte pas des yeux les nombreux véhicules passant sous le pont, et essaie de les compter, histoire de. Mais mon esprit est bien trop occupé à trier les informations relatives à ce qu'il vient de se passer chez Flav. Mais c'est trop le sbeul pour que j'arrive à faire quoi que ce soit avec le contenu bordélique de mon cerveau, en fusion après ma discussion avec Mekra.

Luttant contre moi-même à faire le vide de mon esprit remonté et scandalisé par le comportement de l'ours moralisateur, je suis interrompue par une présence. Il vient d'arriver. Je le sais, il se tient juste derrière moi. J'ai reconnu son odeur, même si elle se mélange à la mienne, identique. J'ai pris la fâcheuse manie de lui piquer son parfum depuis que je squatte lamentablement chez lui.

- Tu...

- Non, je saute pas, t'inquiète pas. J'suis débile, mais pas à ce point.

- Qui t'as dit que t'étais débile ?

Va falloir faire mieux, Ken. Ne la prend pas pour une conne. Tu es le premier à le penser.

- T'es pas drôle Ken. Personne me le dit mais tout le monde le pense. Moi la première. Ne mens pas, tu l'as déjà pensé.

- C'est vrai qu'il faut te suivre, que t'es la dinguerie même, mais... concède-t'il avant que je le coupe.

- Mais tu vas me dire que tu kiffes ? Arrête tes disquettes. Pendant combien de temps ?

- Ambre, je te promets que si t'es en train de me dire qu'il faut que je me taille, ça va pas le faire.

Grillée. Ou prévisible à ce point ? Ou complètement conne de croire que le fuir arrangerait tout ?

Aidez-la, elle est paumée.

- Mekra est de cet avis, en tout cas.

- On s'en branle de l'avis de Mekra. C'est de nous là qu'il est question.

Il vient se poser à ma gauche en ne laissant aucun espace entre sa cuisse et la mienne. Alors que je me les pelais grave, je sens mon corps se réanimer instantanément, juste avec ce contact jeans contre jeans. Je pivote vers lui et entreprends de pénétrer son regard histoire de jauger la température. Celle de son corps, je dirais entre 37 et 150 degrés. Mais le reste, je suis perdue. A-t-il peur autant que moi de ce qu'on pourrait se dire, sur ce muret ? Peur de la suite ? Peur de moi ?

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- Je crois qu'on m'en veut quelque part. Ça fait trop longtemps que j'avais pas passé un anniversaire normal. Pourtant c'était bien parti ce soir. Votre pizza, vos têtes de cons à me chanter le truc... mais...

- Mais Mekra a tout gâché, t'inquiète il est déjà au courant.

Il m'adresse un léger clin d'œil qui me fait très vite comprendre qu'il y a dû avoir quelques étincelles entre eux. Et au-delà du fait que ça me rassure, que Ken prenne ma défense (dix ans plus tard, mais tant pis), ça me fout grave les boules qu'il a dû s'en prendre à son pote.

De Rock et de FeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant