3.

6.5K 352 112
                                    

- Petit bout, on a reçu un lot de vinyles des Stones qu'il faudrait ranger et mettre les plus beaux spécimens en devanture.

- Quelles éditions ? Qui est le donateur ?

- Un vieux pote que j'ai recroisé hier soir. Sa femme allait les foutre en l'air, j'ai sauté sur l'occase. Des originaux, Paint it, Black et Jumpin' Jack Flash, ma belle !!

- Waouh, Bob, mais vous vous rendez compte des pépites que vous tenez en main ?

- Yes, I Love Rock'n'Roll !!

Dans la joie et la musique, au rythme des Stones, on a aménagé la vitrine aux couleurs du groupe en disposant les vinyles de sorte à attirer le regard du client.

Bon, y a bien un truc qu'il faut avouer. La boutique de Bob n'est pas la plus visitée de Paris. La Fnac et Virgin se chargent de récupérer la clientèle, pourtant encore fidèle aux petits disquaires indépendants jusqu'à encore il y a quelques années.

Le monde du disque n'étant pas à son apogée depuis l'avènement du Net et des plateformes de téléchargement, Bob a vu son chiffre d'affaires dégringoler sévèrement en moins de dix ans. Je ne sais pas comment il fait pour tenir sa boutique, mais il est toujours là, et moi avec. Je crois qu'il m'avait parlé d'un héritage familial lui permettant de subvenir à ses besoins sans trop se soucier de la santé financière de sa boutique.

- T'es mignonne aujourd'hui, P'tit Bout !

Planquée derrière mon carton de Cd's à trier, je sens mes joues rosir. Je pouffe avant de lui répondre :

- Merci, Bob, pas plus que d'habitude...

- Tu vois un garçon, P'tit Bout ?

Avouons que cette discussion prend une tournure gênante. Qui parle de mecs avec ses patrons ? Pas moi, en tout cas, surtout qu'il n'y a strictement rien à raconter. Je jette un coup d'œil à mon reflet dans la vitrine et tente de comprendre pourquoi aujourd'hui, je serais mignonne. Surtout que ce n'est pas le premier adjectif venant à mon esprit si je devais me décrire.

Mon Jeans large tombe mollement sur mes fameuses nouvelles pompes, des Puma Suede noires ; et mon ventre joue à cache-cache sous une large chemise rouge à gros carreaux. Ouais, comme les bûcherons canadiens. Je reprends les termes de ma mère quand elle m'a vue piquer la chemise dans l'armoire à mon père la semaine dernière.

Mes cheveux, coupés au carré, sont tout sauf sagement rangés derrière une barrette ou tenue par de la laque. La dernière fois que j'ai utilisé un peigne remonte à la maternelle et ma tignasse, ondulée naturellement n'aime franchement pas se faire manipuler par un accessoire pareil. Du coup, je leur laisse vivre leur vie de cheveux débiles et m'adapte à eux, plutôt que l'inverse.

- Non, pas de mec, Bob, vous savez très bien. J'ai rien fait de plus que d'hab' que de sortir de la douche et de venir ici.

- Tu rayonnes, c'est ce qui te rend si jolie.

- Merci Bob, mais on va s'arrêter là, je vais finir par croire que vous me draguez.

Il me laisse à peine finir ma phrase qu'il éclate de rire. Je l'imite. Bob, me draguer ? Il a presque soixante-dix ans. Enfin, j'en sais rien, je me fie à ses longs cheveux rêches, blancs et poisseux par moments. Sa barbe, fournie et irrégulière est aussi blanches que ses cheveux. Disons que mon Bob adoré n'est plus tout jeune.

J'adore mon Bob. Je suis rentrée une fois dans ce magasin, et je n'en suis jamais vraiment sortie. Je venais de quitter ma vie pourrie d'avant, sur laquelle je ne m'étalerais pas ce soir, histoire de garder mon visage rayonnant, je cherchais du travail. Ainsi qu'un Cd, le Best Of des Smashing Pumpkins à offrir à Simon pour son anniversaire. Je suis repartie avec les deux. En plus une version collector du Best Of. Et un CDI de quinze heures par semaine, pour venir l'aider à tenir la boutique, la paperasse et lui faire surtout la causette pendant ses longues journées ennuyeuses sans clientèle.

Mes parents, surtout mon père, avaient été fiers que je rebondisse rapidement après tout ce qu'il m'était arrivé, et que je tente de gagner ma vie, honnêtement et surtout tout en restant à la maison, avec eux.

J'étais restée trop longtemps éloignée d'eux, du noyau dur que formait mes parents et ma sœur. Je n'avais pourtant pas l'impression de leur avoir manqué durant mon absence, mais quand je suis rentrée, c'est l'impression que j'ai eue. Que je ne devais plus les quitter avant d'en être vraiment sûre, vraiment prête, et surtout vraiment amoureuse.


De Rock et de FeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant