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La bataille contre mon propre cœur est plus facile que je ne le pensais. Tout simplement, en me tenant éloignée du fauteur de troubles. J'ai réussi dès le lendemain à négocier avec Richard un changement de restaurant. Une place pour congé maternité se libérait au restaurant des Halles. Ça rallongerait tous mes trajets entre la répèt, Bob et le Mac Do mais tant pis, si c'est le prix à payer pour garder un semblant de dignité, alors je le paye.

Ça va faire deux semaines que je n'ai vu personne. Et à part Antoine qui m'envoie parfois deux ou trois petits messages, personne ne semble être touché par mon absence. Tant mieux, et d'ailleurs, pour les deux fois que j'ai vu tout le monde, ils ne vont pas se mettre à déprimer non plus !

Je n'ai pas dit à Antoine que je les fuyais, au point de changer de Mac Do, mais que c'était une période délicate pour moi, entre les répèt qui s'intensifient et la préparation de l'anniversaire de mon père. Il n'a pas d'âge particulier, le nombre de répèt était toujours le même, c'est juste que je ne voulais pas lui dire la vérité. J'ai mis ma sœur dans la combine, en espérant qu'elle tienne mieux cette fois-ci sa langue trop pendue.

Le rock m'aide bien dans mon combat. Matérialisé par ma basse et mes répétitions, mais aussi grâce à la bibliothèque de mon papounet que je ne cesse jamais de redécouvrir. J'ai tenté des nouveautés en m'aventurant dans le rock des années 2000, et ai découvert pas mal de pépites que je tente d'imposer pour une fois au groupe. Genre The Strokes, Franz Ferdinand ou encore Artic Monkeys. Les écouteurs vissés à la journée sur les oreilles, je m'abreuve de mes nouveaux groupes.

Je ne dis pas que je ne pense pas à Ken, mais tous les jours, s'efface un peu plus de ma mémoire le souvenir de son sourire, son rire et ses yeux pétillants.

Aujourd'hui, vendredi, je prends mon service chez Tonton Ronald's à vingt heure comme prévu. Y a du monde ce soir, il doit y avoir un concert ou une grosse soirée pas loin pour que tout ce monde vienne grailler en même temps.

Mon nouveau manager, de son petit prénom Elena est bien plus chiante que Richard, mais elle gère d'une main de fer son restaurant. Rien n'est laissé au hasard, pas même notre tenue, passée au pressing chaque jour. Et je ne suis pas sûre que l'irruption fortement remarquée de cette bande ne lui plaise. Surtout qu'ils choisissent ma caisse :

- Ambre, la reuss, comment tu vas ?

Oh, oh, la bataille va marquer une courte pause ; veuillez nous excuser pour cette interruption involontaire.

Toute la bande est là, au grand complet. Ma sœur, accrochée au bras de Mo, semble en être la leader. Instinctivement, mes yeux cherchent une casquette relevée, mes oreilles partent à l'affût d'un rire ou d'une vanne piquante à l'attention de son pote. Un son retient mon attention, une voix mielleuse, guimauve et littéralement débectante. Vu la nana au cou de Ken, je parierais qu'il s'agisse de sa propriétaire. Vite, vite, changer de caisse, feindre un problème en cuisine, vite...trop tard...

- Salut Mo, salut tout le monde, dis-je d'une petite voix, mimant un salut collectif de ma main, en évitant soigneusement de m'adresser à Ken et sa poupée.

- Tu nous mets un menu maxi de chaque, on a les crocs. On a un open-mic après. A deux rues, t'es la bienvenue hein !

- Euh, je taffe jusqu'à minuit, désolée. Ok pour tous les menus.

- C'est à 22 heures, ça aura à peine commencé. On n'est pas les seuls à rapper.

- Oui, viens, frangine, oubliant notre pacte de me faire petite ces prochains temps.

- Je vais voir, je maugrée tout en tipant un menu de chaque sur ma caisse.

J'encaisse, et leur demande d'aller s'asseoir, je leur apporte déjà les 20 plateaux qui leur reviennent.

De Rock et de FeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant