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Les bras ballants, le cœur par terre, les larmes de crocodiles humidifiant le tee-shirt de Ken, je regarde en toute impuissance partir le fourgon des pompiers emmenant avec eux mon Bob. Sans regarder si une voiture passait, en plein milieu de la chaussée, je me laisse tomber par terre. Je me tiens le visage dans les mains, refusant de regarder autour de moi. Refusant de me dire que c'est bien Bob qu'ils ont emmené. Ce n'est pas possible.

Si Ambre, arrête de te voiler la face, ça ne peut être que lui.

Je me rue dans la boutique. Une étagère entière a chu, déversant les cents Cd préférés de Bob par terre, la discographie idéale selon lui. En miettes, jonchant le sol. Je me dépêche de mettre le panneau FERMÉ sur le devant de la porte vitrée d'entrée. Mes larmes s'arrêtent à mesure que les Cd retrouvent leur place originale dans l'armoire que j'ai réussi à relever.

Quand je finis de ramasser un Best of de Pink Floyd et Check your Head des Beastie Boys, une enveloppe apparaît. Je la reconnais de suite au cachet de l'hôpital. Fébrile et curieuse, je sors la feuille et commence à la lire. Sauf que n'étant pas du milieu, je ne comprends rien au charabia. Des mots complexes, des chiffres, des quantités, des mesures, je ne comprends rien. Au dos, la liste bizarre continue. Mais mes yeux embués arrivent très bien à déchiffrer ces quelques mots sombres en bas de page. Et je me hais de ne pas avoir été myope pour ne pas avoir lu cette horreur, qui finit de m'achever : adénocarcinome pancréatique. T4. M1. En dessous, les résultats de la dernière biopsie, datant d'un mois, écrits à la main, précédés de la signature de l'Oncologue D. Gaillard : Cancer pancréas, stade trop avancé pour chimio ou radio. Métastases avancées sur foie et estomac.

La feuille se déchire en lambeaux. Mon cœur avec. La dernière année qui vient de passer aussi.

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- Bonjour, je suis une amie de Robert Barton.

- Mademoiselle Guérin ?

- Oui, comment le savez-vous ?

- Il nous a dit qu'une seule personne risquait de venir. Et qu'il ne voulait pas que vous le voyez.

- Mais, c'est impossible. Bob, je dois voir Bob.

- Je suis confuse, j'ai reçu des ordres, je les respecte.

Bob, sur son lit de mort, qui refuse de voir une dernière fois son P'tit Bout ? Je n'y crois pas. Je décide de retenter ma chance plus tard. Je ne sais pas si cela servira à quelque chose mais bon. En attendant, je m'installe dans cet affreux hall d'accueil, aux allures morbides et à l'odeur particulière mêlant la souffrance, la mort et la morphine. Des gens, au teint pâle et à la silhouette quasi transparente passent et errent dans ce couloir. Quelle idée que j'ai eue de venir ici. A part me foutre le bourdon. Mais je dois penser à Bob.

Pour faire passer le temps, je décide d'écrire un message pour avertir les parents que j'arrête. Je ne me sens plus la force de les appeler, même si je connais maintenant mon speech d'adieux par cœur. J'écris alors ces quelques mots :

Bonjour. A compter d'aujourd'hui, je ne serais plus en mesure d'assurer les cours avec votre enfant. Toutes mes excuses. Ambre G. Et j'envoie.

Le téléphone de l'accueil sonne. J'entends la secrétaire parler d'un monsieur admis cet après-midi, stade 4. Je tends mon oreille et espère qu'on ne lui annonce pas sa mort. Mais bingo, le numéro de sa chambre, énoncé à haute et intelligible voix.

Je laisse encore passer cinq minutes, qu'elle m'oublie, puis profitant d'un passage de plateaux repas sur un haut chariot, je file vers la chambre 269.

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- Bob ?

- Mon P'tit Bout ? Ils t'ont laissé passer ? Je leur avais dit...

De Rock et de FeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant