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22 Mars 2011.

- P'tit Bout, faudrait aller réceptionner un colis à la Poste de Montparnasse, livraison spéciale des States.

- Pas de souci, Bob.

Je ne prends même pas la peine de sortir la tête de l'étagère que je garnis des derniers Vinyles que Bob est allé acheter à Bruxelles le week-end dernier. Dans le tas, je crois reconnaitre celui de NTM, Pass Pass le Oinj, que les garçons m'avaient fait écouter à une de nos soirées « mise à niveau Ambre ». La pochette est abimée, un coin est écorné et une mention attire mon attention. Bêtement, mes yeux zooment sur la petite date de parution en bas au dos de la pochette. 1995. Ma main se crispe sur le vinyle, le battement de mon cœur s'accélère furtivement et une sensation désagréable m'envahit.

- Tout va bien, P'tit Bout ?

Mon esprit vient de faire un bond en arrière, il n'est plus avec moi dans la boutique de Bob. Je vois sa barbe blanche jaunie par les gauloises qu'il fume, son gros bidon saute aux yeux, mais pour le moment, je suis trois mois en arrière, sur un balcon, dans les bras de Ken. La dernière fois où je me suis sentie vraiment heureuse grâce à lui. Depuis, c'est la débandade.

J'exagère ; j'ai eu une première semaine difficile après que je me sois barrée de chez Doum's comme une furie. Le médecin de mes parents est venu à la maison pour me donner une semaine d'arrêt, où j'ai pu dormir pour oublier que je venais de merder. Je n'ai rien fait d'autre. J'alternais mes journées entre sommeil et oubli. De temps à autre, je regardais mon téléphone dont l'écran était le reflet de ma vie : vide. Plus d'amis, plus de "mec", plus de groupe, plus rien.

- Oui, Bob, vous inquiétez pas.

- Si je m'inquiète. Depuis janvier, tu passes beaucoup trop de temps ici, à farfouiller au rayon « rap », la mine songeuse et pas de sourire étincelant pour illuminer ta bouille toujours tellement joyeuse. C'est à cause d'un garçon ?

Pas un garçon, LE garçon. Celui en qui un temps, j'ai cru naïvement qu'il allait être celui qui m'aiderait à affronter mes démons, m'accompagner dans ma nouvelle vie, être présent quand je douterais de ce foutu monde pérrave qui m'entoure. Tu parles, à part détruire mes espoirs, faire de moi une personne que je n'étais pas, et me mettre dans le crâne du rap, il n'avait rien fait d'autre.

Après ma première semaine en mode ermite, comme toujours, je me suis levée avec la ferme intention de ne pas me faire bouffer par mon comportement débile et des sentiments à qui j'avais interdit de faire une halte chez moi. L'après-midi même de mon réveil, j'ai démissionné du Mac Do, j'ai demandé à Bob de venir plus souvent l'aider et j'ai posé des petites annonces chez les commerçants de l'arrondissement pour donner des cours de clavier à domicile.

Mon instrument me manquait trop pour le laisser de côté. Plus de groupe, certes, mais je pouvais donner de mon temps à travers la musique pour essayer d'oublier les trois derniers mois qui venaient de passer. Partager ma passion est finalement ce que je sais faire de mieux.

En deux semaines, en concertation avec Bob, je m'étais aménagé un planning hebdomadaire combinant matinée à la boutique et après-midi de cours. Par bouche à oreille, j'avais même des parents du 16e qui voulaient me voir pour un essai.

- Je préfère me concentrer sur mes cours et mon travail ici. C'est mieux.

- Comme tu veux, P'tit Bout ; mais tu sais que la vie est trop courte pour qu'on se prenne la tête pour des gens qui n'en valent pas la peine.

J'aimerais lui dire que je suis persuadée que Ken en vaut la peine, mais il a déserté de ma vie comme je l'ai fait de la sienne. Ah non, j'allais oublier cette fois-là où il est venu sonner chez mes parents. Deux ou trois semaines après la soirée. J'étais dans ma chambre et mon père a compris qu'il valait mieux mentir et lui dire que j'étais de sortie. Je l'ai entendu demander après moi à mon père, mais le ton du paternel était tellement sec qu'il n'a pas insisté et a fini par saluer mon père. Le bruit de la porte qui claque m'a fait sursauter.

De Rock et de FeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant