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- Ma chérie, il est neuf heures. Tu m'as demandé de te réveiller. Ton rendez-vous chez le notaire.

- Mmh, merci maman. J'abuse si je te demande de me faire couler un café ?

- T'exagères. T'es assez grande pour te préparer un café, non ?

Je bougonne cinq secondes à l'attention de ma mère qui m'observe, niaisement, comme s'il s'agissait de mon premier jour à l'école primaire. Elle tient à me mettre bien pour la journée, qui s'annonce en plus tout de même un peu difficile ? Je m'extirpe du lit, où j'étais quand même vachement bien. Seule, mais bien.

A la cuisine, sur la table, m'attend un bol de café encore fumant, un jus d'orange pressé et des chouquettes. L'a-t-elle fait exprès ? En souvenir de celles que Bob m'achetait tous les matins avant mon arrivée ? Je soupire, nostalgique de cette époque, en croquant dans un petit chou.

- Des tartines sont en train de griller dans le toaster, m'informe ma mère.

- Parfait Maman. Merci.

Je lui embrasse la joue avant de m'installer et attaquer ce petit déjeuner royal comme il se doit. Par une longue gorgée de café.

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- Ça va aller, me questionne gentiment ma mère, en s'appuyant contre la porte de la salle de bains.

Je vois son visage inquiet se refléter dans le miroir où plantée devant, au bout du rouleau, je tente de rester digne et calme.

- T'inquiète, je gère.

Faudrait aussi que je songe à arrêter de croire que je gère tout. C'est plutôt l'inverse. Même si le rendez-vous de ce matin est purement « administratif », entre des signatures à apposer, des cases à cocher et un chèque à empocher, j'appréhende de me retrouver chez le notaire. Pas parce qu'il a un métier dont je ne saisis pas le principe. Mais parce qu'en repartant de chez lui, le dernier endroit où Bob prenait plaisir encore à vivre, se battre pour y arriver en tout cas, sera propriété d'un parfait inconnu. Et s'il en faisait un peep-show ? Un institut de beauté ? Ou une boutique d'aliment sans gluten pour chihuahua nain ?

J'aimerais que la personne qui rachète le local garde l'âme et l'atmosphère que Bob s'était donné tellement de mal à donner à ce petit antre, rue de la Gaieté.

- Tu t'habilles comme ça ?

Juste avant de partir, ma mère me hèle depuis le fond du couloir. Etonnée par sa question, je tente un dernier et pénible coup d'œil dans le long miroir de l'entrée. Bah quoi ? Un jean droit et un sweat gris chiné, je ne pensais pas mal en les récupérant au fond du bordel dans mon armoire.

Pourquoi, y a un dress-code obligatoire pour un rendez-vous chez un notaire ?

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En laissant claquer derrière moi la porte du bureau de Monsieur Michaud, je respire l'air lourd et pollué parisien.

On dit étude, Ambre. Au cas où t'avais pas saisi...

Super, là-haut. Mais t'as raison, j'aurais dû saisir vu le nombre de fois qu'il a répété « mon étude », et bla et bla et bla... Tout ce que ça m'a fait, c'est de me rappeler mes heures de colle au collège en salle d'études.

Je pourrais me sentir légère, d'en avoir définitivement fini avec tout ça, mais c'est tout le contraire qui se produit en moi. Est-ce l'effet du chèque plié en quatre au fond de mon sac à dos qui me donne cette sensation de lourdeur ?

Je me revois regarder le montant, noir sur blanc, avec de gros yeux, sans arriver à me décider entre exploser de rire ou lui envoyer le chèque à la gueule au notaire, parce que franchement, une vanne de ce goût-là, c'est vraiment pas drôle. Mais j'ai bien signé ce papelard, stipulant que suite à l'acte de vente accepté par l'acquéreur, Michaud s'engageait à me reverser la somme totale de 136543 euros. Je n'avais jamais vu autant de chiffres alignés à la suite, sauf à la télé. Encore moins avec le symbole de l'euro derrière, et mon nom juste en dessous.

De Rock et de FeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant