De Rock et de Feu

91.

Point de vue Mekra

Cette journée interminable sur ce chantier m'a cané. Je n'espère qu'une chose, c'est de pouvoir rentrer peinard enfin, à l'appart, grailler une pizza surgelée, fumer un pilon et me pieuter. Je suis resté tard, mais fallait remplir des papelards à la con pour le contremaître. Fait chier lui aussi !

Le RER est presque vide, tant mieux. J'avais pas envie de me coltiner des bambins qui chialent leur mère ou des petits pisseux qui parlent pour toute la rame. On est que lundi et j'ai déjà envie de me pendre. Je me sens déjà prisonnier par le taf et la routine, pensant à mort au prochain weekend, là où je pourrais rien branler, fumer, tiser, ou avancer dans quelques textes pour le S. Mon petit reufton, le Fennec, est pas mal pris par son crew 1995, mais quand leur maxi en préparation sera finito, j'espère bien qu'on pourra se remettre à taffer du lourd pour le S. J'y tiens vraiment. Je me vois pas faire autre chose que du rap dans ma vie. Le chantier ça va cinq minutes, le temps de payer les factures, la bouffe, toutes ces conneries ; mais ma vie, je veux la gagner à coup de rimes.

Quand je pense à mon Nek, j'ai presque de la peine pour lui, de le voir rentrer tous les soirs, l'air paumé et triste, après sa tournée au MacDo. Il finit sa tournée à 7h, mais rentre pas avant minuit, je sais pas ce qu'il branle entre. C'est sa iv, mais je me fais du souci pour lui. C'est de nouveau l'Ambrée la fautive. Même si on voit plus sa gueule depuis plus de quinze jours, et tant mieux, c'est tout ce que je voulais, elle continue de faire iech mon pote et le rendre mal.

J'ai bien compris, après notre discussion le dimanche après la soirée en boîte, qu'elle me l'a complètement bouffé, retourné l'esprit et emprisonné son cœur alors qu'il ne le mérite pas. Ni de souffrir, ni pour une meuf comme elle. Mais il est amoureux ce con, et pas qu'un peu. Je sais pas pourquoi il a été se faire peloter par la meuf en boîte, ni pourquoi il a pris la tangente. Pour Ambre ? Mais il a vu l'avion de chasse qu'il avait dans les pattes ? Un engin pareil, ça se bichonne. Si ça avait été moi, j'en aurais pris soin. Mais faut croire qu'une meuf, dérangée et inintéressante comme Ambre l'attire plus.

Mais je pensais pas qu'elle merderait, elle. Avec ses beaux discours sur son Ken, bla bla bla, et j'en passe des conneries de loveuse en carton, je suis presque choqué qu'elle se soit laissée approcher de près par un babtou. Elle a pris pour un con mon reufton de cœur, pour ça, je peux pas aller la voir et lui foutre deux stargifles quand même ?

En tout cas, si c'est pas moi qui ira vers elle, c'est elle qui vient déjà. Une envie de baffe, l'Ambrée ?

---

En arrivant sur le palier de l'étage de notre appart', je les vois, ces deux cons à se regarder comme deux ahuris, dans le blanc des yeux. Elle vient sûrement chialer pour le récupérer. Grand bien leur fasse, je vais les laisser régler leurs problèmes. J'espère que quoi qu'elle décide de lui dire, il va lui dire ciao, rentrer dans l'appart, s'installer avec nous, fumer un pilon et enfin réaliser qu'elle n'est pas faite pour lui.

-    Pardon, je passe.

Je me faufile entre les deux, aucun des deux ne me répond. M'en branle, ça va pas m'empêcher de faire ma vie. Je jette mon sac et mes pompes de chantier dans l'entrée. Pendant que je lance une pizza au four et me chope une canette de HK au frigo, je tends l'oreille malgré moi. Ils sont devenus muets les deux ou quoi ? On dérange peut-être ? On est chez nous, au cas où. Et s'ils sont pas contents, c'est la même !

Je rejoins Sneaz et Idriss dans le salon. Sneaz est concentré sur son bigo et Idriss sur son carnet où je le vois gratter. Ils ne m'entendent pas arriver. Putain, mais je suis transparent ce soir ou quoi ?

Ah, enfin, y a de l'animation depuis l'entrée. Je retends mon oreille.

-    Je regrette tellement ce qu'il s'est passé, Ambre. Je sais toujours pas ce qu'il m'a pris.