Le lendemain matin, vers 10 heures, je m'étais douchée et même habillée. Enfin non pas que je prévoyais d'y aller à poil mais j'ai eu envie de faire un petit effort. J'ai sorti de mon sac ma fameuse jupe (qui avait réussi à se faire une place dans mon sac !) dans laquelle j'ai coincé mon pull loose de la veille. J'ai enfilé mes collants à l'abri de Ken parce que je savais que ça pouvait dégénérer et je ne voulais pas le déchirer. Ce sont mes seuls collants.
Parée, j'allais passer le pas de la porte quand j'ai reçu le coup de fil de Bruno m'annonçant le report de l'enregistrement au lendemain.
Comme j'étais quand même habillée et qu'il dormait encore, ou faisait mine de, je suis sortie en vue de ramener des croissants. C'était quand même meilleur avec le café que des miettes de macarons écrabouillés. Dehors, je me suis laissée aller dans les rues de mon quartier, respirant l'ambiance matinale et mouvementée d'un samedi matin.
Mes pieds ont marché pour moi et je me suis retrouvée devant la boutique de Bob. Le panneau Fermé à côté de celui Vendu m'a fait l'effet d'un vieil haut les cœurs. C'était bel et fini. Il n'y aura plus jamais de Bob. Même si j'ai vu son corps dans son gros cercueil et que ses cendres sont dans leur « étui » à l'appartement, je n'ai réalisé qu'à ce moment-là que je ne rentrerais plus jamais dans cette boutique, le sourire aux lèvres et le cœur léger.
Devant la vitrine avec la grosse enseigne vieillotte, c'était tout le contraire. Les larmes aux yeux et le cœur lourd. Je me suis dit qu'il fallait que je me reprenne, le rendre fier là-haut en lui montrant que je m'en remettrais, quoi qu'il pensait de ma faiblesse.
J'ai encore divagué dans le quartier, une clope se consumant et venant bruler mes poumons. J'ai cru apercevoir ma mère au loin, rentrer du marché. Ma gourmandise notoire me fait regretter ses petits plats cuisinés du samedi et dimanche midi. L'odeur du hachis parmentier, du poulet, des lasagnes, avec Piaf ou Brel à fond derrière.
Je l'ai regardée s'éloigner du stand pour se diriger vers la rue Boulard. Je l'ai imaginée dans la cuisine, le tablier noué autour des hanches, à chantonner l'Hymne à l'Amour, au grand désespoir auditif de mon père. Lui, il serait en train de pester discrètement au salon, tout en essayant de se concentrer sur les lignes économiques du Canard Enchaîné, remontant sans cesse ses lunettes sur le nez.
J'ai arrêté de penser à tout ça, ça faisait beaucoup trop de souvenirs, avec encore ceux de Bob, pour un samedi matin ensoleillé. Je n'avais pas envie de finir la matinée dans un torrent de larmes et de regrets. Je suis remontée cinq minutes plus tard avec des croissants encore tièdes. Ken émergeait et s'est étonné de me voir déjà revenir. Avant de m'accueillir avec le smile quand j'ai posé le sachet gras sur la table.
Je lui ai expliqué pourquoi je revenais déjà et m'a paru très heureux de la tournure que prenait la journée. Il m'a proposée de ne rien faire, juste tous les deux. J'étais ravie de son initiative mais Mekra nous a sortis de notre parenthèse solitaire.
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Il proposait à Ken de le retrouver, lui, son frère et 2Zer, dans un parc derrière Montrouge, histoire de se branler au soleil et taffer sur de nouvelles idées de textes pour le S-Crew. J'ai tendance à oublier que Ken n'a pas que 1995 dans sa vie, même si en ce moment c'est le groupe qui lui prend le plus de temps. Je n'ai par contre jamais eu l'occasion de voir le S-Crew à l'ouvrage, pour le coup j'étais donc impatiente d'aller retrouver Papa Ours Fâché et les autres. A la grimace de Ken, j'ai compris que je n'étais pas forcément la bienvenue. J'ai abdiqué en comprenant parfaitement que je ne pouvais être de tous les instants de Ken, encore moins les créatifs.
A ma compréhension se mélangeait un lointain arôme de tristesse. J'aurais voulu l'accompagner mais je me suis rendue à l'évidence que c'était bien mieux comme ça, et que je les entendrais bien assez tôt nous rapper ce qu'ils auront créé. Et puis j'avais mieux à faire de mon côté pour la journée.
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De Rock et de Feu
FanfictionLa rencontre entre deux mondes différents... Ambre ne vit que pour le rock, sa basse, son groupe et sa tignasse. Tout ça l'aide à oublier un passé récent douloureux et tragique. Pour remonter la pente, elle partage sa vie entre les répét', son job c...