90.

2.4K 153 306
                                    

Une clope coincée entre mes lèvres, la fumée toxique s'échappe vers le ciel, caché par de gros nuages épais et d'un blanc parfait, sans impuretés. La couleur jaunie de la fumée de ma clope, tranche pas mal avec les volutes d'eau condensée et immaculée.

- Ambre, dis quelque chose... je t'en supplie.

- Tu veux m'entendre dire quoi ?

C'est vrai, je ne sais pas ce qu'il attend de moi, maintenant qu'il m'a tout raconté pour la fille en boite. Voudrait-il savoir si je le déteste pour ce qu'il a fait ? Ou préférerait-il savoir si je compte lui pardonner sur le champ, ce soir encore ?

- Je sais pas, n'importe quoi, me laisse pas juste comme ça, comme un con, à attendre derrière toi...

- C'est un peu facile Ken. Tu viens de me balancer à la gueule que tu t'es laissé toucher par une fille en boite, et tu voudrais que je réagisse d'emblée... laisse-moi déjà digérer l'idée que...

J'arrive pas à le dire à voix haute. Parce que sans doute, énoncer ces mots me feraient prendre une trop grosse claque pour réussir à m'en relever encore une fois ? Mais en même temps, cette même idée devrait suffire à me la foutre moi-même cette claque, me lever, courir et ne plus jamais revenir en arrière.

- J'aurais jamais dû me laisser entraîner en boite, ni me retrouver dans ce couloir, mais t'étais à ta soirée, te savoir avec Greg à tes côtés, ça m'a bouffé, je devenais ouf à t'imaginer avec lui !

- Là aussi c'est trop facile Ken. À t'entendre, ce serait presque la faute des gars qui t'ont forcé à aller en boîte. Et faut que t'arrêtes de croire que je vais retourner avec Greg ou je sais pas trop quelle connerie. Je pense t'avoir déjà suffisamment fait comprendre que c'est toi que je veux, et pas un autre. Juste toi. Mais apparemment, je dois parler chinois et t'as pas envie de me faire confiance. Alors que le contraire me semble quand même plus compliqué, mais tu vois, j'ai envie d'y croire. Tout ce que tu as fait en te jetant dans les bras de cette fille, c'est de me prouver que j'ai eu tort de le faire.

- Mais toi aussi, à ta soirée...

- Oui moi aussi je sais Ken. Je suis autant à blâmer que toi, mais toi c'est différent. Moi, il ne s'agit que d'un baiser volé...

Cette discussion a une dimension lunaire, presque surréaliste. Qu'ai-je donc fait pour mériter d'en arriver là, à dévoiler à tour de rôle nos fautes, celles nous entrainant petit à petit sur un terrain glissant, où je ne vois pas de rebord ou de prises où s'accrocher avant de tomber au fond du précipice ?

---

Point de vue Ken

Je la trouve injuste de vouloir me faire porter le chapeau, qu'à moi. J'ai l'impression qu'elle oublie qu'elle aussi a trahi ma confiance, quelque part, même s'il s'agit que d'un baiser volé. Elle ne me dit pas si elle l'a pas cherché. Comment elle s'est comporté ? Si elle a fait du Ambre, juste en bougeant sensuellement comme elle sait faire avec son boule, je sais, d'expérience, qu'il n'est pas facile de l'ignorer et regarder les autres filles. Elle les efface toutes. Pas juste avec son boule, non, mais toute l'aura défoncée qu'elle trimballe avec elle. Quand elle sourit, que ses yeux bruns se plissent, que sa bouche gourmande s'étire, son aura irradie d'un coup, laissant derrière elle son mauvais karma. Et la rendant tellement belle.

Je la vois faire mine de se préparer à se lever, en prenant appui du plat de sa main contre la pierre froide bordant le quai. Je fixe un oiseau venu s'abreuver rapidement de l'eau de la Seine, quand je sens son corps se lever. Mon cœur est passé en mode essorage 1200 tours. Plus que toutes les laveries du 15e, mon cœur serait capable d'essorer le linge mouillé du tout Paris. J'attrape entre mon pouce et mon index son poignet fin. Elle baisse la tête vers moi, plonge ses billes déçues dans les miennes, pleines d'un espoir ridicule :

De Rock et de FeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant