Je tentais de hurler, mais une main ferme se posa sur ma bouche, coinçant mon cri dans ma bouche. Clignant bêtement des yeux, je battais des pieds, mais ces derniers se battaient dans le vide, ne rencontrant rien qui puisse m'aider.
La lumière s'alluma alors brutalement, m'aveuglant l'espace de quelques secondes. Encore une fois, mon cri se bloqua dans ma gorge lorsque je constatais qu'une inconnue se tenait au-dessus de moi. La femme avait de toute évidence dépassée la cinquantaine, ses yeux gris et bouclés encadraient son visage d'âge mur.
Je ne m'attardais pas dessus, car elle me prit violemment par le coude. Mon réveil affichait plus de deux heures du matin. J'étais complètement perdue, me laissant entraîner par une parfaite inconnue. Nous dévalâmes les marches quatre à quatre, les pièces s'illuminant au fur et à mesure de notre passage. Me faire kidnapper dans ma propre maison était risible. Ridicule. Mais apparemment possible.
Pieds nus, en chemise de nuit, je devais avoir l'air complètement débraillée. Cependant, mon apparence physique était le cadet de mes soucis. Avec ma main libre, je tentais de me défaire de l'étreinte forcée que l'on m'imposait, mais la femme semblait avec la force d'un grizzli.
- Où est-ce que vous m'emmenez ? balbutiais-je.
- Dans un endroit qui déterminera ton futur foyer, me dit-elle froidement.
Si pour elle ces propos avaient un sens, ils n'en avaient pas pour moi. C'était ici, ma maison. En arrivant dans le vestibule, mon regard croisa celui de ma mère. Elle était encore toute habillée, et une certaine peine habitait son visage. Soudain, ce fut comme si j'avais eu une révélation divine.
Mon cadeau d'anniversaire en avance, ce comportement étrange, son étonnement quand je parlais d'aller à l'université ... Elle savait que ce n'était qu'une question de temps avant que d'autres projets ne fassent leurs apparitions. Il y avait aussi la façon dont elle m'avait dit bonne nuit, en venant dans ma chambre, chose qu'elle ne faisait jamais.
Une brusque douleur s'éveilla dans ma poitrine quand je compris que j'étais sur le point de quitter cet endroit pour toujours. Je ne savais pas où j'allais, mais on m'emmenait loin d'ici. De plus en plus éveillée et consciente de ce qui se passait autour de moi, une rage sourde monta dans ma gorge.
Toute cette comédie. Ces cadeaux somptueux. Pour au final me faire quitter cet endroit. Pour une raison encore inconnue. Je sus à ce moment précis le sentiment qu'éprouvait le bateau quand il quittait son port d'attache pour se retrouver à voguer sur une mer inconnue et dangereuse.
J'avais eu la vie que j'avais eue, mais cet endroit était quand même mon foyer, là où j'avais grandi. Ma mère avait les bras croisés autour de sa poitrine. La rage en moi gonflait, tel un ballon dans lequel on souffle. Je compris alors à quel point ma haine envers elle était immense, à quel point j'avais pris soin de la dissimuler toutes ces années, à quel point je lui en voulais pour sa passivité. J'eus l'impression qu'un monstre tapi dans l'ombre tout ce temps se manifestait, grandissait, prenant de plus en plus de place. Je me demandais pendant une fraction de seconde si cette sensation était celle que l'on ressentait lorsqu'on était possédé.
Toujours entraînée dans la folle course de la femme inconnue, je lâchais toute ma rage : je raclais le fond de ma gorge et crachais en direction de ma mère. J'ignorais si j'avais bien visé, mais la puérilité de ce geste me réconforta.
- Sale pute ! criais-je en passant à côté d'elle.
Je ne ressentis pas le soulagement escompté en faisant cela, mais comme j'avais le sentiment que c'était la dernière fois que je la verrai, cela compensait quelque peu. Quand à mon père, je ne l'avais pas vu dans la pièce.
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Club Eleven
VampireLa vie d'Agnes Wallenberg est orchestrée comme du papier à musique. Issue de l'aristocratie suédoise, aux valeurs, aux croyances, et aux règles strictes, elle n'a jamais fait de vagues. L'année de son dix-septième anniversaire, elle apprend la vérit...