J'avais l'impression que je venais de me prendre un coup de poing en plein dans le ventre. Le souffle coupé, je ne pouvais détourner mes yeux du regard peiné de Tobias.
J'avais très peur de découvrir le sens exact de ses propos. J'avais peur d'apprendre qu'il savait pour Klaus et moi. Car je savais que si tel était le cas, je lui causerai une vive douleur, et égoïstement, je ne voulais en aucun cas être responsable de cette douleur. Le temps semblait s'être figé telle une goutte de rosée s'apprêtant à tomber d'une feuille d'un moment à un autre.
Déjà, toutes les caractéristiques de la culpabilité s'immisçaient en moi : mon souffle se faisait plus heurté, mes mains tremblaient légèrement et un film de sueur glacé s'épanouissait tout contre ma nuque. J'aurai voulu que la Terre m'engloutisse au fin fond de ses entrailles pour ne plus avoir à supporter ce regard-là.
Pourtant, au bout de ce qui me semblait être une éternité, Tobias soupira longuement et, du pouce et de l'index, massa le haut de son nez, entre ses deux yeux avec une expression résignée.
- Je ne t'en veux pas Agnes, souffla-il. Tu es guidée par des instincts qui sont par bien des aspects plus profonds et plus difficiles à contrôler que les nôtres. Mais je te demande juste de faire attention à toi. Je sais de quoi Klaus est capable.
- S'il est si horrible que tu ne le prétends, pourquoi restes-tu avec lui ? demandais-je dans un tremblement.
Derechef, Tobias poussa un soupir qui parût s'éterniser encore et encore. Il semblait en proie à un conflit intérieur.
- Ce n'est pas ma faute. Et pas facile à expliquer non plus, dit-il doucement.
- Alors explique-moi, dis-je d'une voix qui ne tremblait plus et qui, au contraire, avait pris des accents froids. Je sais qu'il y a encore des choses que j'ignore.
J'avais prononcé cette phrase quelques minutes auparavant en compagnie de Klaus. Désormais, je croisais les doigts pour que Tobias soit plus prompt que son colocataire à se livrer.
- Nous autres ... vampires, dit Tobias en hésitant sur le mot, nous sommes des créatures basiques. Nous fonctionnons principalement à l'instinct. Quand tu es contaminé, ta vision du monde change, ta vision des relations change. En fait, beaucoup de choses change. Tes rapports aux autres changent aussi.
Je ne voyais pas trop le rapport avec le début de la conversation, mais je ne l'interrompais pas, trop curieuse de savoir ce qu'il allait me dévoiler.
- Je t'ai expliqué comment attraper le virus, tu te souviens (je hochais la tête, bien que j'avais l'impression que cette conversation datait d'une autre vie, et non d'il y a quelques semaines à peine) ? Je t'ai dit qu'il fallait que le sang soit bu et tout ça, mais la façon dont se transmet le virus va beaucoup plus loin. En fait, quand Klaus m'a donné son sang, il l'a fait de la façon suivante : avec ses dents il a tailladé une de ses veines, m'a fait boire son sang à longs traits, il a nettoyé sa plaie et s'est nourri de moi.
Mon teint était sûrement devenu vert, mais je tentais de garder un air serein.
- Je t'effraye ? demanda-il d'une voix douce.
- Non, dis-je à voix basse.
Impossible de savoir si je disais la vérité ou pas.
- Qu'on le veuille ou non, une partie de mon sang circule dans les veines de Klaus, et presque tout mon sang est celui de Klaus.
- Vous êtes liés, murmurais-je, comprenant enfin où il avait voulu en venir.
- Exactement, dit-il en hochant la tête. Nous sommes liés par le sang, bien que biologiquement parlant, nous n'ayons rien à voir avec l'autre.
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Club Eleven
VampireLa vie d'Agnes Wallenberg est orchestrée comme du papier à musique. Issue de l'aristocratie suédoise, aux valeurs, aux croyances, et aux règles strictes, elle n'a jamais fait de vagues. L'année de son dix-septième anniversaire, elle apprend la vérit...