Tout alla très vite.
Les éclats de voix continuaient, mais le débit était si rapide que je ne parvenais pas à déchiffrer les propos. De plus, on m'entrainait à une vitesse inhumaine dans les dédales de couloirs, empruntant des petites portes cachées que je ne voyais qu'au dernier moment.
Vêtue de ma longue cape qui dévalait le long de mon corps, je manquais de trébucher à plusieurs reprises. Des bruits étouffés me parvenaient lorsque le silence se faisait autour de moi. Je compris au bout d'un moment que ces bruits provenaient de mes sanglots heurtés. Des larmes tièdes de la taille d'une balle de golf dégoulinaient tout le long de mon visage.
Je me sentais perdue, complètement déracinée. J'avais l'impression qu'on venait de me voler, et que plus rien ne m'appartenait. J'avais l'impression d'être une flaque d'eau dans laquelle on ne cesse jamais de marcher. J'étais encore en train d'essayer d'accepter le fait que j'avais été mise aux enchères, comme un vulgaire bibelot ancien, et que je m'apprêtais à devenir la propriété d'un inconnu.
Une lourde porte s'ouvrit devant moi, le vent glacé s'engouffrant dans la pièce. A part de la neige, il n'y avait rien en vue. Je grelottais tandis qu'une femme élégamment habillée se disputait avec un homme. Ils passèrent à côté de moi sans me remarquer.
- Et qu'étais-je censée faire ? cracha-elle avec dédain. Annuler l'enchère ? Tu as vu à combien s'est monté ? Je n'avais jamais vu ça avant. Qu'ils se débrouillent maintenant.
A sa voix, je reconnus immédiatement la femme du haut-parleur. Elle rajouta quelque chose à voix basse et elle s'éloigna à pas rapide avec l'homme. Soudain, une voiture déboula à toute vitesse devant la grande porte et la portière coulissa. L'homme qui me servait de garde du corps me poussa dedans à toute vitesse. Avant de refermer la portière derrière moi, il me gratifia d'un regard compatissant et me dit à voix basse :
- Bonne chance petite.
Ce fut tout. La porte claqua violemment sur moi, me coupant du reste du monde. Je me trouvais dans un véhicule du style fourgon, dont les vitres étaient tintées. Le véhicule repartit à toute vitesse. Une vitre de séparation s'opposait encore une fois à moi et aux personnes de devant.
Consciente que je m'apprêtais à gagner mon nouveau foyer –la femme me l'avait dit plus tôt dans la nuit-, je me recroquevillais sur moi-même. Mes yeux demeuraient secs, bien que j'eusse envie de pleurer. J'étais bien trop fatiguée pour cela. Mon corps était littéralement épuisé.
Cette journée avait été la plus longue de toute mon existence. Mes parents étaient désormais loin dans mon esprit. Comme si mon cerveau les avait déjà enregistrés comme étant des personnes de faible importance. Ce qui était quelque part le cas.
Mon existence entière était basée sur un mensonge, je le savais maintenant. Cependant, je ne savais pas lequel. Je n'avais pas encore saisie la finalité de tout cela, mais je me jurais de le découvrir.
Nous roulâmes pendant un moment, même si ma notion du temps était quelque peu faussée. Nous aurions pu rouler une heure, un mois, ou un siècle, je ne m'en serais pas rendue compte de toute façon.
L'espace d'une folle seconde, l'idée de sauter de la voiture me traversa l'esprit. J'ignorais si nous roulions à vive allure, car le moteur ronronnait doucement comme un chat. La chute ne serait pas mortelle : la neige amortirait les douleurs causées à mon corps.
Je tenais là peut-être la seule chance de m'évader, de faire de ma vie ce que j'en voulais. Les secondes s'écoulèrent, sans que je parvienne à arrêter ma décision. Je me redressais, la tête lourde, et, d'une main tremblante, approchais ma main de la poignée. Le temps que les passagers devant comprennent ce qui se passait à l'arrière, j'aurais repris mes esprits et j'aurais décampée loin de cette folie.
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Club Eleven
VampireLa vie d'Agnes Wallenberg est orchestrée comme du papier à musique. Issue de l'aristocratie suédoise, aux valeurs, aux croyances, et aux règles strictes, elle n'a jamais fait de vagues. L'année de son dix-septième anniversaire, elle apprend la vérit...