Après cela, la priorité fut de me tenir éloignée le plus possible des deux frères.
Je fus surprise d'en éprouver autant de peine, car je les connaissais à peine. Je me raisonnais constamment en me disant qu'ils étaient deux inconnus pour moi, et que par conséquent je ne devais pas me sentir aussi frustrée ou déçue. Pourtant, c'était ce que je ressentais la plupart du temps.
Mes deux premières semaines dans ma nouvelle maison se passèrent donc loin des deux frères, à l'abri des regards. Je passais tout mon temps seule dans ma chambre, ou dans la bibliothèque, ou alors en compagnie de Teodora.
Il était difficile de ne pas l'aimer.
Teodora était une jeune adolescente joyeuse qui prenait tout du bon côté. Elle disait souvent qu'elle préférait voir le verre à moitié plein qu'à moitié vide. Elle parlait constamment, et elle exigeait de ma part un investissement minime à la conversation. De toute façon, je n'avais pas grand-chose à dire.
Nous prenions tous nos repas ensemble. Parfois, Teodora cuisinait, mais parfois, elle commandait à emporter. J'ignorais quand se nourrissait les autres, mais j'imaginais qu'il s'agissait d'une stratégie soigneusement établie afin que je ne croise ni Klaus ni Tobias.
Un matin alors que je me prélassais dans ma bain –je méditais, plutôt-, je venais à la conclusion que mon manque des deux garçons ressemblait fortement à un manque que pouvait ressentir un drogué. La comparaison était certes violente, et assez éloignée de mon cas, mais c'était la seule comparaison qui me venait en tête.
Je ne cessais d'essayer de me souvenir de leurs fabuleuses odeurs, surtout celle de Klaus. C'était comme si j'avais été exposée à une puissante drogue, et que, même exposée quelques secondes, j'étais devenue accro.
Mais je n'étais pas réputée pour avoir bonne mémoire, et essayer de se souvenir d'une odeur est bien plus compliqué qu'on ne le croit. Pourtant, j'essayais plusieurs fois par jour, m'aidant en visualisant le visage de chacun des garçons, ainsi que leurs yeux cristallins.
J'étais constamment épuisée et morose, non seulement car ces moments me prenaient du temps, mais aussi car je dormais mal. Mes songes étaient peuplés par mes parents. Si j'arrivais à ne pas y penser pendant la journée, je ne pouvais y échapper une fois la nuit tombée.
Je broyais du noir à force de rester toute la journée enfermée. La demeure était certes gigantesque, mais j'étais habituée à faire quelque chose de mes dix doigts. Avant, j'allais à l'école, et quand j'avais du temps libre, je le passais avec Lillemör.
D'ailleurs, j'aurai du reprendre les cours ce lundi, mais personne n'avait abordé le sujet des études avec moi. J'en concluais que ce n'était pas prévu que je retourne au lycée. Cette constatation m'inquiéta ; j'estimais que l'éducation était un fondement majeur dans la construction de la vie de quelqu'un, et m'en retrouver privée ne me plaisais pas.
Je n'avais pas osée aborder le sujet avec Teodora, et le peu de fois où je m'étais dit qu'il fallait peut-être que nous en parlions, Lune était avec nous. Je devenais alors subitement muette et je perdais tous mes moyens. La jeune femme avait beau être d'une beauté envoutante, elle me terrifiait.
L'autorité naturelle qu'elle dégageait me coupait toute envie de parler ou de m'exprimer de quelque manière que ce soit. J'avais aussi senti qu'elle s'accommodait de ma présence, bien qu'elle ne fût pas très enthousiaste. La plupart du temps, elle se contentait de m'ignorer, comme si j'étais un chaton égaré et que j'avais été grassement recueillie, mais qu'elle n'aimait pas trop les animaux de compagnie. J'avais aussi le sentiment qu'avec Lune, l'expression « si les regards pouvaient tuer » n'était pas à prendre qu'au figuré.
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Club Eleven
VampireLa vie d'Agnes Wallenberg est orchestrée comme du papier à musique. Issue de l'aristocratie suédoise, aux valeurs, aux croyances, et aux règles strictes, elle n'a jamais fait de vagues. L'année de son dix-septième anniversaire, elle apprend la vérit...