~ Livre Deux - Chapitre 16

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Le bruit que produit la tête de Klaus en heurtant le sol est désagréable. Cette dernière émet un craquement sinistre et je ne suis pas sûre d'avoir envie de savoir ce qui vient de se briser. Je ne suis pas sûre d'avoir envie de rester là tout court, d'ailleurs.

Il s'agit de ces moments qu'on préfèrerait éviter, où on aimerait être ailleurs et dire avec un sourire crispé : « non, merci, très peu pour moi » et tourner le dos. Mais bon, ces derniers mois, je n'ai eu que très peu de moments de répit alors pourquoi aujourd'hui serait différent ?

Tobias, que je pensais pourtant bien connaître -en tout cas plus que Klaus-, est méconnaissable. Son si joli visage, toujours jovial et bienveillant, est déformé par une rage que je ne lui ai jamais vu. Au fond de moi, je savais que ce moment arriverait. Qu'un jour, pas si lointain que ça, les deux garçons arriveraient à ce stade-là, celui où la violence physique serait la seule solution.

Passé l'effet de surprise, Klaus reprend vite le dessus et administre à Tobias un crochet du droit d'une précision chirurgicale. Leurs deux corps ne semblent former qu'un, tant les mouvements sont rapides. En tout cas, plus rapides que de simples mortels. A vue d'œil, je dirai que le combat est égal. Là où Tobias est fort et robuste, Klaus est agile et rapide.

Je me rends compte alors avec un certain effroi que je suis en train de comparer ce duel comme si j'étais en train de regarder un combat de boxe à la télé. Je suis tétanisée, et je n'ai aucune idée sur la façon de mettre fin à tout ça.

Les deux garçons se relèvent, Tobias empoigne Klaus et le propulse sur le plan de travail où tasses, assiettes et couverts dégringolent par terre, produisant un bruit de casse sur le carrelage rutilant. Klaus rétorque en se baissant et en fonçant tête baissée contre le ventre de Tobias, et ce dernier se cogne contre le meuble de la cuisine en faisant tomber plusieurs casseroles.

- Espèce de sale fils de pute, crache Tobias. Comment oses-tu la toucher avec tes sales pattes ?

Pour seule réponse, Klaus lui tire les cheveux en arrière et lui cogne la tête contre le mur.

- Fils de pute, hein ? Qui de nous deux est un fils de pute ? Je connais ma mère, tandis que la tienne a dû tomber en cloque dans un bordel et t'as abandonné sur un tas d'ordures.

Il dit ça en arborant un rictus mauvais, la bouche en sang, ce qui rend la scène assez effrayante. Les piques fusent de toute part et je sors de ma léthargie en entendant des pas précipités venant des escaliers. Je crie un vague « à l'aide », en sachant pertinemment qu'il faudra mobiliser la force de plusieurs personnes avant de réussir à contenir ces deux-là. Ils sont bien trop concentrés sur les coups qu'ils donnent et reçoivent que par la présence de qui que ce soit dans la pièce.

Profitant d'un moment d'inattention, Tobias se met derrière Klaus, le tient à la racine des cheveux, et lui éclate la tête contre le plan en marbre. Je comprends ce qui se passe avant même que Klaus ne crache : « Putain d'enfoiré, tu m'as pété le nez ! »

Quand mon regard croise celui de Teodora, encore endormi mais angoissé, je me surprends à respirer plus calmement. Et quand Lune déboule quelques secondes après, en tenue de nuit avec un masque de sommeil sur le sommet de ses cheveux blonds, je m'adosse contre le meuble, me sentant soudainement moins seule.

Pourtant, les deux femmes restent stoïques, ne sachant pas quoi faire, tandis que le sol de la cuisine commence à se maculer de petites gouttelettes de sang. Mes narines frémissent, mais j'ignore la sensation, et fais un pas vers eux, pour faire ce que j'aurai dû faire dès le début : les séparer.

J'ai du mal à trouver une prise solide à laquelle me rattacher ; les mouvements des garçons sont saccadés et j'ai bien peur que leur colère les ai rendu totalement oublieux du monde et des gens qui les entourent. Pleine de courage, j'attrape Tobias par le col mais il me repousse tellement violemment et avec tellement de force que le bas de mon dos va se cogner dans le coin de l'ilot central.

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