Dans la voix de Klaus, j'entends tout en même temps : l'inquiétude, la surprise, la colère ... Une vague de sentiments contradictoires et paradoxaux, et, l'espace d'un instant, je me perds à l'écoute de sa voix veloutée et onctueuse, telle du miel dégoulinant sur une tartine chaude.
C'est impossible.
Impossible que je ressente encore ce vif désir, douloureux, lancinant et palpitant pour cet homme. En devenant vampire, en laissant le sang de Lune me contaminer, je disais adieu à cet aspect-là, à ce besoin viscéral que j'éprouvais pour ce garçon qui était capable de me mépriser ou non au gré de ses humeurs. C'était fini.
Ou du moins c'est ce que je pensais.
Etourdie par ce constat, je recule d'un pas tandis que Teodora nous observe à tour de rôle, inquiète, les yeux encore rougis par ses pleurs récents. Lune, elle, observe Klaus d'un air suspicieux, guettant le moindre geste offensif à son encontre ou envers l'un d'entre nous, prête à bondir, féline.
Tobias quant à lui, me place derrière lui en un geste protecteur tandis que sa main serre la mienne compulsivement, comme à la recherche d'une ancre contre les ténèbres. Je réalise alors que je serre sa main avec la même intensité, désireuse de le garder au plus près de moi.
- Oui, c'est moi, je finis par dire avec une toute petite voix.
Je suis incertaine quant à l'attitude que je dois adopter, peut-être même fais-je une grossière erreur en me cramponnant à Tobias, mais pour le moment, j'estime qu'il est préférable de garder une certaine distance avec Klaus. Nous devrions tous d'ailleurs garder nos distances avec lui ; le fait que Teodora soit assise à quelques centimètres de lui ne me plait pas du tout.
Même si je ressens ces vives émotions envers Klaus, pour la première fois, je le regarde avec un air nouveau, et je vois en lui ce que je n'avais jamais vu auparavant.
Pour le moment, Klaus est un ennemi.
Il est de l'autre côté de la ligne rouge, face à nous tous. Un seul faux mouvement de sa part, et c'est le signal silencieux. Je ne sais pas de quoi je serai capable, mais je le ferai.
Klaus penche la tête sur le côté pour mieux me voir, et il cligne doucement des yeux, comme ... étonné. Ai-je à ce point changée ? Ma transformation en vampire est-elle une si grande surprise ? Peut-être s'attendait-il à me trouver morte. Oui ; immobile, pâle et froide dans un cercueil. Un accident, un dérapage, causé par son espèce. Fin de l'histoire.
- C'est moi, je répète.
Aussitôt, son expression change. Il se ferme, se dirige lentement vers le frigidaire tandis qu'un étrange bruit de gorge de la part de Lune se fait entendre, semblable au feulement d'un chat, signe d'avertissement. Mais Klaus se contente de prendre une petite bouteille d'eau et de boire plusieurs petites gorgées.
A cet instant précis, il est le Maître de notre Destin, et il le sait.
Finalement, il se retourne vers moi, et, d'une voix plate, me dit :
- Mazeltov. J'aurai dû ramener une bouteille ou un truc du style pour célébrer l'évènement.
A ce moment précis, toute la tension de la pièce s'échappe, tel l'air s'évacue d'un ballon de baudruche. Toute cette angoisse ...
- Tout va bien alors ? demande Lune, étonnée, quoiqu'encore sur le qui-vive.
Il hausse les épaules.
- Elle n'a jamais été à moi. Elle fait ce qu'elle veut de sa vie.
- Tu vois très bien ce que je veux dire, dit Lune d'une voix froide et implacable. J'ai pris la décision qui s'imposait, même si elle ne me revenait pas. Je veux savoir maintenant si je dois me préparer à en subir les conséquences.
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Club Eleven
VampireLa vie d'Agnes Wallenberg est orchestrée comme du papier à musique. Issue de l'aristocratie suédoise, aux valeurs, aux croyances, et aux règles strictes, elle n'a jamais fait de vagues. L'année de son dix-septième anniversaire, elle apprend la vérit...