~ Chapitre 19

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Quatre paires d'yeux m'observaient, mais toutes de façon totalement différente.

Teodora semblait à deux doigts de pleurer, et elle tenait encore les assiettes à dessert entre ses mains. Elle inspira brusquement avant de se figer, mais ses bouclettes acajou s'agitèrent nerveusement autour de son visage.

Lune me dévisageait, attendant de toute évidence ma réaction. L'ombre d'un sourire planait sur son visage, mais je n'avais pas l'impression que c'était méchant. En fait, Lune semblait s'amuser d'une façon générale des situations compliquées et dérangeantes, comme si elle assistait à une sorte de spectacle. Ses yeux de glace semblaient me mettre au défi ; au défi de réagir face à ces propos incohérents.

Tobias, lui, avait les yeux exorbités, et son teint avait pris la couleur de la cendre. Il semblait avoir cessé de respirer, et ses pupilles étaient dilatées. Pour la première fois depuis notre rencontre, il semblait complètement dépassé et effrayé. Par moi ou par ce qui venait d'être dit, je n'en avais aucune idée. Toujours est-il que même lorsque je m'étais sentie en danger à ses côtés, j'avais je ne l'avais vu arborer une telle expression.

Klaus, quant à lui, semblait mystérieusement ravi de ses propos. Il se leva, de sa démarche élégante, et sans même prendre une cuillère, pris une part de gâteau qu'il mâcha avec ostentation. Il se servit de nouveau une coupe de champagne, leva le verre dans ma direction comme si il portait un toast et m'adressa un clin d'œil. Dans d'autres circonstances, j'aurai pu trouver ce geste terriblement sensuel et excitant. Après tout, Klaus m'accordait de l'attention. Mais je ne ressentais que de l'hébètement.

- Que ... ? bafouillais-je.

A peine trois secondes s'étaient écoulées depuis que Klaus avait parlé, mais le temps semblait s'être suspendu en l'air, comme une goutte de rosée hésitant à tomber de sa feuille. Je me levais, chancelante et engourdie, et regardais Tobias en le suppliant du regard.

- Qu'est-ce que c'est que cette farce ?

Tobias ne me répondit pas. Pourquoi personne ne me répondait ? Pourquoi personne ne s'était esclaffé tout comme moi ? Pourquoi tout le monde réagissait comme si cela était grave ? Ou alors, les propos de Klaus recelaient un autre sens, que je n'avais toujours pas compris. Il s'agissait encore d'un message codé.

Lune se leva brusquement et me fit signe de la suivre. Malheureusement, j'étais incapable de marcher, ou d'esquisser le moindre mouvement. J'avais l'impression que mes jambes avaient pris la consistance de la gelée.

La jeune femme me pris alors brutalement par le coude, me forçant à la suivre, et je lâchais un glapissement incompréhensible. Elle marchait tellement rapidement que je trébuchais à plusieurs reprises. Je me rendais compte au bout d'un moment qu'elle m'entraînait vers la bibliothèque. Cette pièce était probablement ma favorite, mais cette pensée m'effleura seulement, car j'étais complètement perdue.

La pièce était sombre, car bien qu'il ne fût que trois heures de l'après-midi, la nuit était en train de tomber. Lune me lâcha le bras et alluma les lampes sur son passage. Je m'assis lourdement sur un des fauteuils de l'immense pièce en laissant mon regard s'attarder sur le gigantesque globe terrestre. Lune ouvra un placard avec fracas et je ne pouvais même pas me concentrer sur ce qu'elle faisait.

Ce fut quand elle me tendit un verre dont le liquide avait une couleur ambrée que je me réveillais enfin. Lune haussa un sourcil épilé en continuant de me tendre le verre. Me saouler était la dernière chose dont j'avais envie en cet instant. Me retrouver avec elle aussi.

- Tiens, dit-elle en insistant. Tu vas en avoir besoin. Et ça t'aidera.

J'avais beau vouloir changer, vouloir m'affirmer, cette volonté était réduite en poussière lorsque Lune me regardais ainsi. Tel un agneau docile, j'obtempérais, et vidais le verre dans son intégralité. La chaleur de la boisson se propagea immédiatement dans ma gorge, lentement mais sûrement. J'avais l'impression d'avoir bu de la lave en éruption.

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