Alors que je tanguais encore sur mes jambes instables, on m'emmena dans une autre pièce. Cette dernière contrastait énormément avec l'autre. Elle était d'une blancheur et d'une propreté chirurgicale. Elle formait un arc de cercle parfait, qui me laissa songeuse.
La vieille dame ayant disparu –sûrement pour envahir l'intimé d'une autre pauvre jeune fille-, ce fut la plus jeune qui prit le relais. Elle me fit signe de m'assoir dans une sorte d'énorme seau à taille humaine, tout en m'enlevant au passage ma chemise de nuit déchirée. Elle la balança dans un coin sans ménagement.
A peine avais-je pris place dans l'espèce de baignoire qu'une armada de personnes se précipitèrent sur moi pour me verser de l'eau tiède. Chaque parcelle de ma peau fut polie avec rigueur, si bien que cela en était presque douloureux. Pendant qu'une personne me lavait les cheveux, une autre s'occupait de mon visage, une autre de mes ongles.
Bien que l'eau fût chaude, je tremblais de tous mes membres. Quand je fus nettoyée, on me sécha, on s'occupa de mes sourcils, de coiffer mes cheveux en ondulations savamment coiffées, puis on m'affubla d'un immense peignoir qui couvrait quasiment tout mon corps.
La texture était étrange : un mélange de soie et de satin d'un rouge profond, qui était décolleté au niveau de mon cou et de ma poitrine. Enfin, on mit une pince dans mes cheveux de façon à dégager mon visage.
Je me sentais à peine humaine et j'avais du mal à tenir debout. Quelle heure pouvait-il être ? Trois heures du matin ? Une des personnes s'occupant de moi, me sentant probablement à bout de force et au bord de l'évanouissement, me força à m'assoir et me porta un verre d'eau et un cracker.
Cette agitation autour de moi m'effrayait, mais au fond de moi, je savais que je ne pouvais pas fuir. Il n'y avait aucune échappatoire, et je devais subir ces préparatifs sans savoir à quoi ils servaient. J'étais spectatrice de ma propre vie, sans que je ne puisse rien faire, comme ces personnes qui vivent des EMI –expérience de mort imminente-. Je sentais à peine les mains qui m'effleuraient.
Lorsque les préparatifs furent terminés, tout le monde autour de moi s'évapora, et je me retrouvais seule dans la pièce. Je me tournais vers le miroir pour m'observer. J'eus comme un choc en me découvrant.
Le peignoir tombait au sol tel une cascade, couvrant quasiment la totalité de mon corps, y compris mes mains qui étaient désormais invisibles. J'ignorais si c'était l'éclairage ou la couleur de cet accoutrement, mais je me trouvais plus femme, plus adulte. Ma silhouette paraissait plus anguleuse.
La porte s'ouvrit avec fracas et ma ravisseuse réapparut, plus déterminée que jamais. Cette femme ne souriait donc jamais ? Elle me fit signe de m'asseoir. Elle m'étudia pendant quelques secondes, peut-être quelques minutes, comme si elle méditait. Puis, enfin, elle prit la parole d'un air posé :
- Tu me sembles plutôt intelligente, dit-elle avec une petite grimace comme si cela lui était intolérable de l'admettre. Inutile donc que je t'explique en quoi mal te comporter t'attirerait de sérieux ennuis, ainsi qu'à nous tous. Il va falloir que tu fasses tout ce qu'on te dit, sans réfléchir, tu comprends ?
Je hochais la tête, et, profitant du moment, posais enfin la question qui me trottait en tête depuis le début de cette folle nuit.
- Qu'est-ce que je fais ici ? Que me voulez-vous ?
- Tu le sauras assez rapidement, enfin, si ta nouvelle famille en prend le temps.
Puis, pour la première fois, elle afficha un petit sourire, comme si elle venait de faire une blague qu'elle seule pouvait comprendre. Elle cessa subitement de sourire, prit ma main et tamponna à l'intérieur de mon poignet le chiffre 13. Il était écrit en tout petit et en noir.
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Club Eleven
VampireLa vie d'Agnes Wallenberg est orchestrée comme du papier à musique. Issue de l'aristocratie suédoise, aux valeurs, aux croyances, et aux règles strictes, elle n'a jamais fait de vagues. L'année de son dix-septième anniversaire, elle apprend la vérit...