~ Chapitre 4

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Je scrutais le sol, à la recherche d'une apparition divine.

Je me sentais embarrassée sans savoir pourquoi. Cette situation sortait tellement de l'ordinaire ... Je prenais rarement mes repas en compagnie de mes parents. Quasiment jamais, même. Inutile donc de préciser que ce changement d'habitude, ajouté au changement de comportement de ma mère, me terrifiais.

- Que se passe-t-il ? demandais-je d'une voix sourde.

- Nous devons discuter.

Encore une fois, ce ton dénué, vide d'émotions. Cela me rendait la tâche encore plus ardue, car je ne pouvais pas m'aider des inflexions tonales de ma mère pour me donner un indice sur le pourquoi du comment.

- Suis-je autorisée à prendre une douche avant que nous parlions ? murmurais-je.

C'était plus une question rhétorique qu'autre chose. Je savais que jamais je n'aurais été autorisée à m'assoir vêtue d'une telle tenue.

- Bien sûr, dit ma mère, avec un peu plus de sympathie. Et je t'en prie, habille-toi correctement.

J'acquiesçais, mais je m'étais déjà dirigée vers les escaliers menant à ma chambre. Je m'administrais une douche brûlante, et bientôt, toute la pièce fut envahie par la buée. Je ne réfléchissais à rien, sauf à ne pas mouiller mes cheveux.

Une fois sèche, je jetais mon dévolu sur une robe bleu marine qui dévalait jusque mes chevilles. Ce n'était pas ma préférée, mais je savais que ma mère l'approuverait, et le décolleté dans le dos était modeste.

Je dévalais les marches en tentant de refréner le rythme soutenu auquel mon cœur battait. Ce repas me mettait dans tous mes états, mais d'un côté, j'étais curieuse. Je songeais aussi à quel point tout cela était ridicule. Je tentais d'imaginer quelqu'un comme moi, dans une réalité parallèle, qui serait terrifié à l'idée de manger avec ses parents, mais cela ne devait pas exister.

Je m'asseyais à table dans un raclement de chaise et je grimaçais. Ma mère observa ma tenue avec approbation, mais elle fronça les sourcils. Je savais pertinemment ce qui la dérangeait. Aussi, quand elle ouvrit la bouche pour parler, j'aurai pu parier une centaine de couronnes sur ce qu'elle s'apprêtait à dire :

- Ta coiffure, maugréa-elle.

Je portais encore ma tresse entourant le haut de mon crâne et en étouffant un soupir, j'entrepris de la défaire, en brossant mes cheveux à l'aide de mes doigts. Les ondulations retombèrent le long de mon dos. Durant toute l'opération, j'observais mon père en catimini.

Jakob Wallenberg était au premier abord une personne qui semblait blasée par la vie. Il portait constamment sur son visage un air de profond ennui, et je me demandais comment il avait réussi à gravir les échelons jusqu'à devenir un des plus grands chefs d'entreprise de Suède. Ses petits yeux profondément ancrés dans leurs orbites lui donnaient cependant un air perçant, de celui qui ne loupe rien. Ses cheveux et sa barbe avaient virés au gris au fil des années, et malgré les costumes de créateurs qu'il portait, il paraissait plus âgé qu'il ne l'était vraiment.

Frida arriva au moment même où mon problème capillaire fut réglé. C'est en sentant l'odeur de la nourriture posée sur la table que je me rendis compte à quel point j'avais faim. Mon estomac se rappela à mon bon souvenir. Frida avait préparé du stekt strömming med potatismos och lingonsylt – du hareng frit avec de la purée de pomme de terres et de la confiture aux airelles-, un de mes plats préférés.

Mes parents joignirent les mains et baissèrent la tête en signe de respect et ma mère se lança d'une voix sourde dans une prière destinée à Sainte-Brigitte ; cette dernière avait été éducatrice au XIVe siècle à la cour royale de Suède et avait fait des tas de choses que j'ignorais. Je n'étais pas particulièrement portée sur la religion. Je connaissais mes prières, mais ne les appliquait jamais. Etant née dans une famille particulièrement aisée, mon éducation religieuse avait été une étape à laquelle je n'avais pu échapper, mais le protestantisme n'avait jamais été mon grand ami. C'est la tête baissée, les yeux fermés que j'écoutais ma mère continuer sa louange :

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