Klaus se renfrogne ; je sais que je touche un point sensible. Et je suis bien décidée à lui tirer les vers du nez. Sinon, cette situation peut continuer encore très longtemps, et je n'en ai pas envie.
- Tu ne sais pas de quoi tu parles, chuchote-il, et, à travers la musique, je parviens quand même à l'entendre.
- Alors explique-moi, je dis avec douceur.
Il soupire, et s'adosse à son siège.
- J'ai pris beaucoup de mauvaises décisions au cours de ma longue, longue existence, commence-il, soudainement las. Je me suis acoquiné avec les mauvaises personnes, j'ai eu les pires fréquentations qui existaient à mon époque et surtout, j'ai déçu beaucoup de monde. Mon père disait souvent que Déception aurait dû être mon prénom. Je me fichais de tout ça, des critiques, du fait d'être une déception pour mon père, pour ma famille. Tout ce à quoi j'aspirais, c'était la liberté. Et je n'ai jamais rien regretté.
Je ne comprends pas trop cette introduction en bonne et due forme, mais je suis tellement contente qu'il s'ouvre enfin à moi que je laisse poursuivre, presque hypnotisée.
- Mais toi, c'est différent, dit-il en posant un regard fiévreux sur moi.
Soudainement, plus rien n'existe autour de moi. Je suis comme dans une bulle, juste lui et moi.
- Ce fameux soir où je me suis rendu au Club Eleven, et où je me suis présenté aux enchères, je l'ai fait pour tromper l'ennui. J'ignorais aussi que Tobias se trouvait là. Je ne sais pas si on te l'a dit, mais on ne sait jamais qui sont les autres personnes qui participent à l'enchère, pour éviter les rixes. Bref, j'ai eu un choc en comprenant que l'enchère n'avait pas été concluante. Dans ma vie, j'ai toujours tout eu. Je me suis senti frustré. Et j'ai eu des regrets, pour la première fois de ma vie. C'est pour ça que tu es si différente ; tu es à la fois un poison et un antidote. Je ne sais pas ce que je ressens dès que tu es près de moi, et c'est pour ça que je réagis aussi mal.
Je déglutis. Enfin, il se livre à moi.
- Je te désire autant que je te hais, et quand ces deux émotions s'entrechoquent, je suis complètement perdu. Oui, j'ai envie d'être près de toi, mais j'ai aussi envie de te repousser le plus loin possible, pour que tu restes hors d'atteinte. Loin de moi.
- Je n'ai jamais voulu que tu ressentes ça à mon égard, je rétorque en buvant nerveusement une gorgée de mon Martini.
- Je sais. Tu n'as rien à voir là-dedans, j'en suis tout à fait conscient. Mais parfois, c'est plus facile de faire porter le cartable à quelqu'un plutôt que de se remettre soi-même en question.
Il prend une gorgée de champagne.
- Le soir où je suis parti, et où tu m'as dit que ... tu m'aimais ... ça a été un choc. Personne ne me l'avait jamais dit, même si je sais que Lune, Teodora et même Tobias tiennent à moi. Je voyais dans ton regard que tu me voulais, mais je faisais semblant de ne pas comprendre.
- Pour te protéger, je souffle.
Il hoche la tête et regarde la foule d'un air absent.
- Mais ça me fatigue, dit-il sans me regarder. J'en ai marre de jouer un rôle qui n'est pas le mien.
- Alors tu ne me déteste pas ? je demande, pleine d'espoir.
J'espère que mon désespoir ne s'entend pas trop. Klaus ricane.
- Toi comme moi savons que je ne t'ai jamais détesté.
Il me lance un regard entendu. Après tout ce temps, ces tensions, ces larmes, j'ai l'impression qu'on vient de me retirer un énorme poids. J'ai l'impression de flotter, et surtout, d'être en paix avec moi-même et avec Klaus.
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Club Eleven
VampireLa vie d'Agnes Wallenberg est orchestrée comme du papier à musique. Issue de l'aristocratie suédoise, aux valeurs, aux croyances, et aux règles strictes, elle n'a jamais fait de vagues. L'année de son dix-septième anniversaire, elle apprend la vérit...