31 juillet 2017 - suite (M)

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Mathieu – 36

Mon œil croise une ombre dans le miroir. Alors que je viens de raccrocher après cette cinglante mais polie phrase, je le vois. Nous ne nous lâchons pas, par l'intermédiaire de la glace.

« C'était Nathan ? commence-t-il délicatement.

— Non, Bastien. Je savais qu'il n'était pas très en forme.

— D'accord, tu vas vite le retrouver de toutes façons.

— Tu étais là depuis combien de temps ?

— Assez pour entendre que tu aimes être avec moi ».

Pour une raison qui sur le moment m'échappe, Andy brise le contact visuel et monte les escaliers à toute vitesse. J'entends, dans sa course, qu'il pleure. Et ça me brise le cœur. Je monte doucement. Pour qu'il ne me rejette pas et qu'il entende que je le rejoins. Il est effondré sur le lit, la tête posée sur les coussins. J'entends encore ses sanglots.

Je ne m'assois pas sur le lit, mais me penche en avant pour déposer dans son cou un baiser. Très succinct, simplement pour qu'il prenne bien conscience que je suis là. Je ne veux pas le brusquer en lui demandant brutalement ce qui lui arrive. Mais c'est lui qui relève la tête. Ses beaux yeux sont pleins de larmes. Sa bouche tremble légèrement. Comme il a pu le faire ce matin, je pose mes mains sur son cou, le caresse et l'embrasse chastement.

« Mathieu... Qu'est-ce que j'ai à t'apporter moi ?

— Rien. Parce que je ne veux pas que tu m'apportes quoi que ce soit. Nous sommes bien ensemble, je crois que tu le penses aussi. Ensemble, on s'apportera sans doute quelque chose. Nous verrons.

— Je ne veux pas jouer avec toi...

— On ne joue pas, je te le promets. On s'est parlé, c'est ce qui compte.

— Non, Mathieu... Dans la balance, il y a autre chose, que tu ignores...

— Ne te sens pas obligé de tout me dire, Andy.

— Même ma double vie d'acteur et d'escort ? Que mon rendez-vous était avec un client que j'ai planté parce qu'il m'était impossible de faire quoi que ce soit depuis que tu m'as touché comme tu l'as fait. Je ne joue pas, Mathieu. Tu m'apportes déjà tant ».

Je suis complètement assommé. Non pas parce qu'il est escort, ou plutôt, disons les mots, qu'il se prostitue ; je fréquente suffisamment le milieu pornographique pour savoir que beaucoup y sont contraints au début puis, par confort, poursuivent. Mais parce que notre relation vient faire vaciller cet équilibre. Et je n'arrive pas à croire que j'en sois à l'origine.

« Est-ce que... cela aura des conséquences pour toi ?

— De ne pas arriver à me prostituer ? Je n'ai personne au-dessus de moi. Et financièrement, je suis stable. Mais pas émotionnellement. Je crois que tu l'as vu...

— Je ne veux pas que tu sois mal à cause de moi.

— C'est précisément parce que j'ai peur de finir comme Nathan que je suis mal.

— Tu n'es pas Nathan, crois-moi.

— Non, mais tu es le même que celui qui a écrit qu'il n'était pas capable d'aimer. Et même si ce mot est trop fort pour l'instant, il fait partie de la suite logique.

— C'est vrai, mais...

— As-tu déjà aimé, Mathieu ? J'ai besoin de le savoir.

— J'ai aimé. J'aime encore. Mais il est parti, tentai-je bien qu'étranglé.

— Mais qui a pu te faire...

— Stéphane. Mon mari.

— Il t'a trompé ?

— Il est décédé ». 

C'était le mot de trop. 

Je m'effondre.

Suprême Mathieu - S.M. (B&B)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant