Suprême – xliii
Mon retour à Paris a été plus difficile que je ne l'imaginais. Tout cela me dissuaderait presque de penser de nouveau à moi pendant quelques temps. Les rendez-vous se sont enchaînés dans la journée à une vitesse que je ne souhaite à personne. Sans compter la tension parce que mes clients se sont sentis abandonnés pendant mon voyage. Les pauvres, il faudrait presque que je les plaigne.
Ils peuvent toujours rêver. Je quitte enfin l'immeuble du responsable d'un club qui voudrait rejoindre mon réseau. Pourquoi pas, ce serait ouvrir sur une nouvelle clientèle, celle d'affaires. J'en discuterai avec Bastien en temps utiles. Pour l'instant, l'essentiel n'est pas là. Loin de là même.
Il fait nuit. Seule la lumière artificielle vient me brûler la rétine. Je marche sur une grande avenue bordée de bâtiments tantôt en verre tantôt en pierres. Il n'y a pas de voitures, pas de transports en communs, pas de vélos. Rien ne peut m'empêcher de marcher au milieu. Surtout pas les passants qui, me regardant parfois avec mépris parce que forcés de se décaler à mon passage, détournent le regard quand mes yeux obscurs se posent sur eux.
Je hais chaque individu que je croise sur cette avenue. Ils sont trop banals, trop classiques, trop simples. Ils n'ont rien de compliqué, ou bien ils cherchent à se créer des problèmes pour se donner de l'importance. Mettre de la complexité dans leur simplicité juste pour se sentir exister. Que leur conjoint meure à cause de la négligence de l'autre et nous pourrons parler d'égal à égal.
Ils feraient mieux de venir nous voir dans nos clubs, ce serait plus efficace, et surtout plus logique. Nous saurions comment les faire exister, les rendre complexes sans que ce ne soit artificiel. Rien ne sert de se créer des faux problèmes pour essayer de vivre. Il faut vivre avec les problèmes et jouer avec.
Je marche de plus en plus vite sur cette avenue. Je rencontre de plus en plus de gens. Je ne les bouscule pas, non, ils se sortent avant que je ne puisse les toucher. La vitesse abîme mes yeux, qui commencent à laisser perler des petites larmes. Sans doute à cause du vent. Du froid. Certainement pas à cause de la haine, de la colère, de la tristesse.
Ma tête me fait particulièrement mal, comme si ma boîte crânienne venait à rétrécir plus j'approche de mon appartement. Cette pression prend tout mon corps, y compris mes jambes que je sens s'alourdir, mon buste qui durcit sans raison valable, mes yeux qui sont secs alors que mes paupières elles sont humides.
Je n'attends même pas l'ascenseur, je monte les marches deux à deux, quitte à arriver complètement essoufflé quelques étages plus haut. J'abandonne. La porte de l'ascenseur s'ouvre devant moi, sans doute pour éviter que le sol ne se dérobe. Je monte, pianote sur les chiffres et m'effondre, dos à la porte qui vient de se refermer.
Si frapper l'appareil ne me conduisait pas à une chute mortelle ou, pire, à une panne, je l'aurais fait. Alors, par dépit, j'attends. J'attends jusqu'à ce que la porte me laisse tomber au sol, devant chez moi. Le haut du corps devant ma porte, le bas encore dans l'ascenseur. Je serais capable de rester ainsi des heures. Sans avoir peur. Et si je le faisais ?
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Suprême Mathieu - S.M. (B&B)
RomanceCarnet de Bord d'un Alpha. Après quelques années dans la finance de marché, Mathieu a amassé assez d'argent pour plusieurs vies. Il profite donc de ses loisirs, tout en conseillant de temps à autres les puissants. Qui oublient trop souvent que le se...