L'adolescent se cloîtra dans les toilettes de son établissement. Ses yeux bouffis fixèrent longuement la poignée. Il espérait n'avoir affaire à personne. Son corps glissa le long de la fraîcheur des murs et ses jambes se replièrent contre son torse. Son visage s'enfouit entre ses genoux tremblotants. Faible. Voilà le mot qui narguait sa conscience. Il se sentait si faible, si lâche. Des perles transparentes grossirent dans ses yeux, l'écho de ses pleurs troubla le murmure assourdissant qui persistait dans ses oreilles. Une hémorragie de questions l'assaillit. Pourquoi devait-il supporter sa propre identité ? Ne pouvait-il pas y échapper ? Serait-il éternellement piégé dans ce corps repoussant ? Auparavant, cette question ne l'aurait pas effleurée. Mais, à présent que Gally et ses acolytes l'houspillaient, il concédait leurs reproches continuels. Sa maigreur était bel et bien écoeurante et ses longues jambes pareilles à d'étranges bâtons attisaient bel et bien le ridicule. Pire encore. Il était bel et bien une anomalie. Il ne pouvait qu'en être une. Dans son collège, tous les garçons invitaient d'autres jeunes filles à danser durant les différents bals organisés. Il était le seul à patienter là, sur les bancs déserts du gymnase, à fantasmer sur un quelconque jeune garçon. Anormal était le mot juste. Parmi tous les films qu'il avait regardé, tous les livres qu'il avait dévoré, aucun ne relatait une romance entre deux hommes. Cela prouvait tout. Certainement avait-il dû se tromper lors de sa croissance. Certainement avait-il dû faire quelque chose de faux. Autrement, pourquoi serait-il puni de la sorte ? Un grincement rugit. Newton sursauta. On ne pouvait tout de même pas le déranger à cet instant ? Une silhouette se dessina dans le creux de la porte et le cœur du réfugié se glaça. Il ne pouvait pas le voir ainsi. Pas lui. Clefs en main, le garçon vint s'asseoir sur carrelage frais avec une pudeur respectueuse et prononça : « Je t'ai vu t'enfuir dans les toilettes, avec les clefs du concierge. J'ai dû demander celles de monsieur Barrow afin de te rejoindre. » Des yeux luisants de larmes se relevèrent en sa direction.
« Que fais-tu là ? demanda Newton d'un ton meurtri.
— Je suis venu t'aider, pardi. répondit-il.
— Tu es un garçon populaire de troisième. Pourquoi tu voudrais aider un monstre de quatrième ?
— Un monstre ? Tu n'en n'es pas un, Newt.
— Comment connais-tu mon nom ? Je suis certainement le gars le plus invisible, ici...
— Ma sœur est dans ta classe. Elle me parle souvent de toi.
— Ta... sœur ?
— Alix, oui. Rassure-toi, elle n'en pince pas pour toi. sourit-il. Elle s'inquiète simplement à ton sujet. Elle m'a dit qu'un groupe de garçon dans ma classe t'harcelait.
— Ah... Ah oui...?
— Elle l'a fait, oui. Elle m'a amené jusqu'à toi aujourd'hui et je t'ai vu, près de la cour. Ces types te tabassaient et te traitaient de tous les noms. J'étais plein de rage. J'ai voulu intervenir, mais tu t'es enfui. Je ne voulais pas que tu sois seul, alors je t'ai suivi. Seulement, tu t'étais déjà enfermé à clefs ici.
— Pourquoi m'as-tu rejoins ?
— Je te l'ai dit. Je veux t'aider, Newt.
— Comment ?
— Je veux que tu dénonces ces monstres au principal. On le fera ensemble, si tu as trop peur.
— Hors de question ! Ils me détesteraient encore plus !
— Ils seraient exclus et tu serais enfin tranquille. Ne veux-tu pas les punir ? Ils doivent apprendre à être tolérants.
— To... Tolérants ?
— Exactement. sourit-il.
— Alors... tu le sais ?
— Si je sais que tu aimes les hommes ? Oui, je le sais. Je les ai entendu t'insulter de tapette, tout à l'heure.
— Et tu penses donc que j'en suis une... soupira-t-il.
— Non. Tu n'es pas une tapette. Tu es un garçon qui aime les garçons. Autrement dit, tu es homosexuel. Tout comme ces garçons sont plus idiots que cons. C'est bien plus respectueux et intellectuel, ne trouves-tu pas ?
— Certainement...
— En tout cas, ce terme te correspond mieux. Tu ne mérites aucune injure.
— Et... ça te dérange, que je sois un homosexuel ?
— Non, du tout. À vrai dire, je pense l'être un peu également.
— Ah oui ? Pourquoi ça ?
— Car je te trouve plutôt mignon. Voire très. J'aimerais ne jamais te perdre de vue. Ça ne sonne pas vraiment hétérosexuel.
— Mais, tu es populaire et... tu ne me connais pas !
— Je suis populaire parce que je suis sociable. J'aime bien être très entouré. Ça ne m'interdit pas pour autant d'aimer les hommes, ce détail ne vient pas de là. Et puis, je te connais suffisamment. Tu es quelqu'un de doux et sensible, c'est beau.
— Pour... Pourquoi es-tu si gentil avec moi ? D'habitude, on m'évite, me bouscule et me cogne...
— Parce que j'ai vu qui tu étais. Les autres sont peut-être encore trop peu mûrs pour te comprendre. Les gens comme toi et moi sont complexes. Laisse-leur du temps. Et puis... j'aimerais que tu me fasses confiance.
— Pourquoi ?
— Pour que je puisse t'aider. Et même peut-être devenir ton ami ou... plus.
— Plus...?
— Gardons ça pour plus tard. Maintenant, il faut te libérer de ces martyrs. Veux-tu bien venir avec moi ?
— Où ça ?
— Dans le bureau du principal.
— Je... Je ne suis pas sûr...
— Je serai avec toi. Je témoignerai en ta faveur. Monsieur Karman comprendra et agira. Tu ne seras plus tout seul dans cette affaire.
— Et... Et après, que feras-tu ?
— C'est-à-dire ?
— Vas-tu m'oublier ?
— Tu peux te montrer très idiot. rit-il. Après, je resterai avec toi.
— Ah... Ah oui ?
— Oui, bien que nous ne soyons pas dans la même classe.
— Et ton groupe d'amis ?
— Je préférais rester près de toi. Tu m'intéresses bien plus. »
Un maigre sourire se peignit sur les lèvres ensanglantées du blondinet. Thomas rougit jusqu'aux oreilles.
« Je préfère aussi te voir sourire ! Tu es encore plus beau.
— Tu me trouves... beau ?
— Bien sûr. Gally et Alby ont tort. Tu es magnifique. »
Ce fut autour de Newton de rosir.
« Je... Je te remercie... »
Souriant, l'aîné se releva et tendit son bras.
« Allez, attrape ma main. On y va. »
Le blond la saisit dans un rire.