« Je déteste dormir seul. Terrifié, avec les lumières éteintes. Je déteste vivre seul, me parler est une conversation ennuyeuse. Moi et moi ne sommes pas amis, ce n'est qu'une connaissance, une âme et un corps égaré. Je déteste rêver d'être seul, parce que tu n'es jamais là. Juste une silhouette sombre avec un visage vide. Me virant de chez elle. Je déteste marcher seul, je devrais avoir un chien ou quelque chose comme ça. Mes pensées sont d'immenses bois ouverts, un murmure nu qui s'étire dans un feu mouillé. Fugue, es-tu si fragile ? Peux-tu être seul ? La touche frissonnante d'affection. J'attends un moment où tu appellerais mon nom, reviens vers moi. Mais le moment n'est jamais venu, le poids de la foi ne m'est jamais tombé dessus. Je déteste manger seul, je le sais. Je déteste dormir près de toi, car au matin tu n'es jamais là. Juste une silhouette sombre avec un visage vide, me virant de chez elle. Je déteste vivre avec toi, je devrais avoir un chien ou quelque chose comme ça. Je déteste marcher avec toi, te parler est une conversation ennuyeuse. Toi et moi étions autrefois un, maintenant tu n'es qu'une connaissance. Je déteste rêver d'être avec toi. Terrifié par les lumières éteintes. Comme une biche à travers les phares. Fuyant, fuyant. Toujours plus loin. acheva lentement l'homme dans sa lecture, dont le regard remontait derrière ses lunettes carrées. Tu as conscience que cela ne te ressemble pas, pas vrai ? commenta-t-il, la feuille dans ses mains glissant légèrement vers le bas.
- Comment pourrais-tu le savoir ? leva le garçon assis face à lui, masquant son ton vexé.
- Télomères. lança-t-il, posant le papier qu'il tenait sur son bureau. Tu sais ce que c'est ? pas moi. Du moins, je ne le savais pas avant ton dernier recueil. Et je suis prêt à te parier que peu de tes lecteurs le savent aussi.
- Je l'ignore...
- "Tu me guide vers la sécurité et le silence, pendant que tu m'expires. Je te bois, et nous allons au-delà des confins les plus éloignés, où la lumière se courbe et s'enroule sous nous. Et je sais que tu t'effondres en moi. C'est le début de quelque chose de nouveau". cita-t-il à nouveau. Ça te dit quelque chose, ces vers libres ?
- Tommy...
- Ce sont les tiens. Dis-moi ce que sont des télomères.
- Les extrémités des chromosomes...
- Et ?
- Ils préservent l'intégrité du matériel génétique nécessaire au fonctionnement cellulaire, ils contribuent au vieillissement.
- Notre vieillissement ?
- Tu es mon éditeur ; tu sais ce que ce titre signifie, Tommy.
- Quel est ce vieillissement, Newton ? Quel est-il dans ton recueil ?
- Les télomères sont comme les désirs qui s'estompent à chaque aurore, ils portent l'essence de notre vie. Mais ils finissent tous par s'user, s'effilocher et se dissoudre. Puis, quand ils sont trop courts, ils nous jettent aux contraintes de l'âge et à ses maladies.
- Exactement. approuva-t-il enfin, d'une voix vive qui exprime un but atteint. Pourtant ils jouent un rôle dans la longévité et dans la santé, tu l'as dit.
- Je ne vois pas où tu m'emmènes, Tommy...
- "La vie ne songe qu'à la mort", Lacan. Nous ne vivrions pas sans la mort, nous n'aurions pas de désirs, ni le loisir de les voir flétrir. Voilà ce que dit ton écriture, voilà ce qu'elle a toujours dit. En mêlant science et symbolique tu démontres que la plus grande peur de tout homme est leur plus grande salvatrice. Ça, c'est ça, qui m'a fait t'éditer. C'est l'optimisme que tu caches parmi la précarité du vivant et nos tristesse. On ne te lit pas pour ruminer un chagrin, non, certainement pas. On te lit pour le relativiser, pour apprendre à moduler ses bénéfices, les seuls qui nous font profiter de notre court passage dans l'univers. Voilà, où je t'emmène. Je t'emmène à tes racines, car tout ce que je vois sur ce nouveau papier, c'est un adolescent morne qui ne gère pas une rupture et y sacrifie sa vie.