Le regard sévère de monsieur Isaac défigurait son fils à travers le rétroviseur alors qu'il répétait sans trop croire à l'impact de ses mots : « Arrête de bouder, Newton ! Ce n'est que provisoire ! La maison est magnifique, en prime.
— Je hais la campagne. rétorqua le garçon.
— Tu as besoin de respirer de l'air frais ! »
La voiture garée et les valises dans l'entrée, monsieur Isaac admirait le bâtiment ancestral lorsqu'il sourit : « Tu trouves pas ça splendide, fiston ? Tu peux même choisir ta chambre, il y en a des dizaines !
— Je ne comprends toujours pas pourquoi tu nous as amené dans ce trou à rats.
— Mon divorce avec ta mère m'a occupé l'esprit durant tous ces derniers mois ; j'ai besoin de repos dans un lieu reposant.
— Un demi manoir ? Reposant ?
— Newton... Je suis sûr que ce séjour te plaira ! Il s'agit de la ferme de ton arrière grand-père, tout de même ! Tu devais bien m'y accompagner un jour ou l'autre. »
Le fils ne l'écoutait déjà plus. Il grimpait les marches grinçantes des escaliers, son sac en main. Évaluer sa chambre ne l'amusa point, tout comme préparer un gâteau avec son père. Il bouillonnait de rage. Une haine ascendante dévorait son cœur ; il n'en restait peut-être que quelques pauvres petites miettes, prêtes à être englouties. Après tout, il ne servait plus à rien, ce cœur. Personne n'en voulait. Ni Newton, ni son père, ni personne. Elle n'était bonne qu'à rassasier sa terrible colère.
« Qu'est-ce c'est que ce bruit ? cracha sa voix rauque. »
Monsieur Isaac eut un sourire.
« J'avais oublié ! Le fils d'un excellent ami travaille ici, je l'ai embauché en tant que jardinier il y a un moment déjà. Il est en train de passer la tondeuse, ça lui fait son argent de poche. Il a ton âge ! C'est pas merveilleux ?
— Un ado de plus. Qu'est-ce que ça change ?
— Eh bien... Vous pourriez devenir amis !
— Amis. répéta-t-il. Évidemment.
— Ce garçon n'est pas comme les autres, Newton. soupira-t-il. Il est tout à fait charmant ! Jamais il ne dirait quoi que ce soit de blessant. »
Newton se leva de bonne heure le lendemain. Non pas par suffisance de sommeil, loin de là. Non, ce même son pénible et répétitif l'avait fait se réveiller en sursaut. Le garçon ouvrit brusquement ses rideaux et l'aperçut, là, dans l'immense jardin, en train de manier la tondeuse. Encore.
« Eh ! s'écria-t-il une fois sorti. T'es sérieux, de passer la tondeuse à cette heure ?
— À cette heure ? Il est neuf heures passées, mon beau. Si t'es un mec de la ville, c'est pas mon problème. »
Ses yeux mordorés se relevèrent pour dévisager Newton. Une chaleur se logeait dans le creux du ventre du blond tandis qu'il insistait : « Tu m'as réveillé !
— Parfait. Comme ça, tu peux profiter plus tôt de la vie. »
Le blond bredouilla : « T'es barjot, ma parole.
— Raté, je suis Thomas. Thomas Edison. Ravi de te rencontrer, mon beau. Newton, c'est ça ? Mon père m'aura bien parlé de toi. Tu t'avères tout aussi aimable que dans ses dires. ironisa-t-il. Au moins, t'as le physique. C'est déjà ça. »
Une hémorragie de sons troubles déferlèrent de la bouche du blond, ledit Thomas n'en saisit pas un mot et le coupa : « Bon, j'ai du boulot, moi, beauté. Retourne te défouler sur ton père, ça te fera du bien. » Il redémarra le moteur.