« De temps à autre, quelque chose change.
Il me change.
Il est trop tard pour moi à présent.
Je suis altéré.
Quelque chose rampe sous ma peau.Il n'est ni acide ni alcalin.
Pris entre le noir et le blanc.
Il n'est ni le jour ni la nuit.
Il est parfaitement mal aligné.Je suis pris dans sa conception.
Et comment elle se connecte à la mienne.
Je vois sous un jour différent.
L'objet ardent de mon désir.Parlons donc de chimie.
Parce que je meurs d'envie de fondre au coeur de ses molécules.
Jusqu'à ce que les particules ne se séparent comme de l'eau bénite.Je le jure.
Il est un élément inconnu.
Soit né en enfer, soit envoyé du ciel.
Je suis emprisonné par son charme.
Et comment il ronge mon être.Il n'est ni acide ni alcalin.
Pris entre le noir et le blanc.
Il n'est ni le jour ni la nuit.
Un véritable démon né d'une constellation.Il m'extirpe de ma chair et de mes doutes.
Il prend tout de moi et ne me laisse rien.
Il coule ses dents dans ma peau et me fait saigner.
Il me donne tout ce que je désire et m'hypnotise.
Il me vaincra.
Comme toujours. »Une fois sa lecture achevée, Monsieur Conrac releva les yeux de la copie de son élève. En face de lui, Thomas était immobile. La classe riait, crachait sa poésie avec vulgarité. Ses ricanements ne perturbaient pas l'adolescent. Non. Il patientait, les yeux envahis par le néant de ses songes. Le professeur réajusta ses lunettes.
« De qui donc parlez-vous, monsieur Edison ? »
Le jeune homme n'hésita pas à répondre.
« De Newton. »
Les sourcils de son professeur se haussèrent. Les élèves éclatèrent de rire.
« Le célèbre physicien ? »
La pomme d'Adam de Thomas remua.
« Non. Mon Newton est destructeur. »
Soudainement, la pièce devint silencieuse. Les mots du garçon avaient refroidi son euphorie. Devant le regard vitreux et insistant de son élève, l'adulte frémissait. Une pointe d'amertume piquait le bout de sa langue. Ses muscles se raidirent.
« Qui est donc votre Newton ?
— L'allégorie du danger. »
Les lèvres de monsieur Conrac s'ouvrirent. Un courant d'air frigorifique fit trembler sa peau. Une atmosphère morbide s'empara peu à peu de la salle de classe. La réponse de Thomas avait déclenché un sinistre mécanisme.
« Est-ce un humain ? »
La tête de Thomas se secoua avec lenteur.
« Non. »
Ses camarades l'observaient anxieusement. Aucun ne trouvait la bravoure de partager une seule parole. Comme si le calme devait régner, comme si son contraire devenait risqué. Le souffle du professeur se bloqua dans ses poumons lacérés par l'inquiétude.
« Qu'est-ce, dans ce cas ? »
Une once d'insécurité brouilla les iris du garçon. Sa bouche s'ouvrit. Quelques secondes s'écoulèrent avant qu'il n'en sorte des mots : « La divinité du péché. » Sa voix était chevrotante, rembourrée par l'épouvante.
« Que vous fait-il, monsieur Edison ? »
Une angoisse pesait sur le cœur du professeur. Il le sentait se tordre dans tous les sens et hurler. Son sang bouillonnait dans ses veines.
« Je suis sa victime. Il m'a choisi. Il me veut. »
Des larmes perlaient doucement sur ses joues.
« Je suis prisonnier de son mal. »
Monsieur Conrac était aphone. Tout aussi sonné que ses élèves. Ses doigts crispaient la copie de Thomas. Ses yeux fuyaient les paroles étalées à l'encre. À croire qu'elles en appelaient à une malédiction.
« Très bien, très bien... reprit-t-il. Excellente performance, monsieur Edison. Tout à fait convaincant. Vous pouvez être fier de vous. Vous obtenez la note maximale. Vous pouvez vous asseoir. »
Thomas ne fit rien de tout cela. La mort rôdait là, dehors, dans les limbes des ténèbres. Il percevait ses murmures tranchants et entendait sa faux racler le sol. Le sifflement de sa respiration s'alourdit. Le ciel s'assombrit. Soudain, les lumières se mirent à clignoter. Leur lueur blanchâtre aveuglèrent les adolescents présents et bâillonnés par la peur.
« Vous ne me croyez pas. Mais il vient pour moi. »
Les ampoules grillèrent dans un son ample. Pris au dépourvu, les élèves se cachèrent la vue et hurlèrent, terrassés par la terreur. Nul ne bougea pendant un long moment, craignant leur affrontement avec la réalité. Finalement, lorsque le calme revint, Thomas avait disparu.