Les assiettes et les verres se brisaient au sol à travers l'hémorragie de mots qui brouillait l'esprit de Newton. Il entendait sa conscience hurler de fatigue, là, réfugié dans un coin de sa chambre, la tête entre les genoux, priant silencieusement la fin de ce vacarme qui tordaient ses viscères sous la terrible emprise de l'angoisse. Une larme mouilla l'extrémité de ses longs cils, ses paupières voulurent rester indéfiniment closes. Elles le bloquaient dans l'obscurité de l'imagination, dans ce monde inexploré aux milles échappatoires. Newton aurait tué pour s'éterniser dans cette tranquillité d'esprit, pour vivre enfin indépendamment des batailles qui avaient fini par marquer son quotidien. Mais ici, ce rêve était entièrement chimérique. Il le sentait. Il devait partir. Attrapant un sweat qu'il enfila, il ouvrit brusquement sa fenêtre et sauta. Son poids atterrit lourdement sur la pelouse de son jardin. Les cris subsistaient, mais leur rage semblait s'être faite emprisonnée par une bulle de coton. Le visage masqué par l'ombre de sa capuche, le garçon s'enfuit dans les frimas de la nuit pluvieuse. Le claquement de ses semelles et l'écoulement violent de l'eau sur le macadam le faisait frémir de peur. Son pas s'accéléra, il voulait quitter cet enfer jusqu'à ne plus jamais l'entendre geindre. Il ne supportait plus cette proximité étouffante avec cette maison opulente, gardienne de ses démons les plus fourbes et cathédrale des chamailleries insensées de ces deux parents, aveuglés par il ne savait quelle lumière hystérique. L'odeur âcre de la fumée émanant d'une cheminée voisine titilla ses narines mordues par le froid. Le soulagement engourdit soudainement son corps. Pris d'un subit enthousiasme, il escalada l'échelle négligemment appuyée contre la façade de l'habitation et observa la lueur chaude qui illuminait jovialement la pièce une fois à son sommet. Il y vit la silhouette d'un beau jeune homme, allongé sur son grand lit, les jambes ballantes et le regard rivé sur un vieux livre. Rougissant un peu, son poing toqua timidement contre la fenêtre close et extirpa l'adolescent de sa lecture. Un sourire fleurit aussitôt sur son visage, il ouvrit hâtivement la fenêtre et laissa son ami sauter par-dessus son rebord. Thomas glissa un plaid épais sur ses épaules chevrotantes, il s'occupa de le déchausser, emmitoufla ses pieds de chaussons moelleux et lui présenta un pull-over chaud.
« Enlève ton haut. Il est trempé. »
Le blond acquiesça, les joues cramoisies. Celles du brun rougirent tout autant lorsqu'il fut torse nu. Intimidé par son regard curieux, Newton s'empressa d'enfiler son vêtement. Son ami en profita pour le dorloter dans son propre lit, prenant soin de l'envelopper dans une dizaine de couvertures.
« Tu es fou, de t'être enfui par ce temps. Nos maisons sont éloignées et il s'agit de l'une des nuits les plus froides de l'année, les journaux télévisés ont fermement conseillé de rester chez soi. C'est risqué !
- Excuse-moi... souffla-t-il.
- Ne t'excuse pas. Tes parents se sont à nouveau violemment disputés ?
- Dans le mille... Un couteau a bien failli me crever l'œil. »
Un chagrin coupable colora l'éclat ambré des iris du brun. L'une de ses mains serra celle de son ami.
« Tu as bien fait, de venir. Bien que tu as certainement déjà attrapé un mauvais virus. sourit-il doucement. Comment te sens-tu ?
- Mal. répondit-il. Ces disputes sans fin m'épuisent, j'ai perdu toute joie, toute envie, et par-dessus tout, je culpabilise de t'entraîner dans cette affaire.
- Tu ne m'entraînes dans rien du tout. riposta-t-il.
- Bien sûr que si. Tu t'attires des ennuis, en me cachant dans ta chambre sans même avoir l'accord de tes parents.
- Au diable mes parents. Il s'agit de ta santé. Je mourrais de culpabilité si je ne t'aidais pas. Tu es mon ami le plus proche, Newton.
- Je te remercie, Tommy... tu fais tant pour moi, sans que je ne t'offre quoi que ce soit en retour. Je m'en veux tellement »
La poitrine de Thomas se gonfla dans un soupir.
« Tais-toi, tu es stupide. murmura-t-il. »
Son visage se blottit dans le creux son cou, il agglutina leurs corps.
« Tommy... »
Il fit grommeler le surnommé.
« Tu es gelé. Laisse-moi te réchauffer. »
Leurs paupières se fermèrent dans un ronronnement ondoyant. Expirant contre sa peau, Thomas enlaça sa taille et une douce chaleur drapa Newton. Sa tête se reposa contre celle de son fidèle.
« Arrête ça... »
Son grognement ne parvint point à dissuader le brun, qui agrippait fermement son haut de ses doigts. Sa bouche vorace s'égara sur sa pomme d'Adam et l'embrassa.
« Tu ne fais qu'aggraver ton cas. poursuivit-il. Imagine que tes parents découvrent qu'en plus d'héberger un parfait inconnu dans ta chambre, tu lui aies voué ton cœur. Tu serais mort. »
Ses mèches brunes frôlèrent son menton.
« Mais j'adore, lorsque l'on paresse l'un contre l'autre. Tu es si beau, si tendre, si câlin. »
La tentation eut rapidement raison du blond. Tandis que les mains bouillantes de Thomas flattaient ses abdominaux, ses lèvres dévoraient leurs jumelles. Le fusionnement de leur souffle les grisèrent.
« Je devrais détester t'aimer. pantela Newton. Tout comme nous devrions nous haïr. allongea-t-il. Pourquoi sommes-nous donc ainsi ? Dis-le moi, Tommy. »
Les lèvres de ce dernier aspirèrent son ultime bouffée d'air. Ses doigts capricieux plongèrent sous son jogging et le long de sa cuisse.
« Je m'en moque. Nous sommes ainsi, voilà tout. haleta-t-il. Et c'est bon, tellement bon. »
Leurs yeux s'ancrèrent.
« J'aimerais que tu aies tort. J'aimerais te rendre normal. J'aimerais t'épargner la douleur qu'inflige la différence.
- Je n'en n'ai que faire, de ce soulagement et de cette normalité, si je dois me priver de toi. Ils ne valent rien.
- Ma famille est brisée, je suis seule. Ce n'est pas ton cas. persista-il. Serais-tu prêt à être abandonné par les tiens, simplement pour m'aimer ?
- Tu n'aimerais pas savoir tout ce que je serai prêt à faire pour t'aimer, Newton. »
Tirant sa chevelure dorée, il le força à l'embrasser impétueusement. Leurs gémissements s'étouffèrent.
« Tu me traitais de fou, tout à l'heure. reprit-il. Regarde-toi. Tu plonges dans l'inconscience, en succombant à cette luxure. Tu risques trop. Je suis déjà perdu. Pas toi. »
Thomas brisa leur étreinte un instant.
« Tes préventions m'agacent. Si tu as tant peur pour moi, tu n'aurais pas dû te rendre chez moi cette nuit-ci.
- Tu as raison. reconnut-il. Mais mon amour pour toi ne me laisse aucun choix. Je ne me réfugie pas dans tes bras uniquement pour fuir les enfantillages épuisants de mes parents.
- Et j'en suis ravi. Tout comme je suis ravi de t'aider et de t'aimer. Barricade ces inquiétudes et laisse-moi te cajoler. Ce n'est pas parce que nous sommes anormaux que la tendresse et l'amour nous sont défendus.
- Promets-moi que tu ne regretteras rien, si tes parents venaient à nous surprendre et à te renier définitivement. insista-t-il.
- Tu as ma parole, tout comme tu as mon amour. susurra-t-il. Quant à toi, jure de te protéger malgré tes craintes.
- Je te le jure, et je jure mon amour. »
Leurs lèvres se scellèrent fiévreusement, leurs mains parcoururent leurs courbes.
« Tommy. souffla-t-il. Je t'aime.
- Je t'aime. »
Les deux amants auraient voulu que cette nuit ne connaisse aucune fin.