Ses mains, il les sentait, il les vénérait, agrippées à sa nuque, à son dos, à ses cuisses, partout sur son corps. Ses mains fermes, froides, délicatement osées, divinement douces, certaines et pourtant si attentionnées, il les sentait, il les sentait prendre tout de lui, pétrir sa conscience et sa raison, sa voix, sa respiration. Ses yeux, il les voyait, vissés dans les siens, leur luxure, leur amour et leur dévouement, leur exquise splendeur. Ses yeux, semblables à un whisky pris dans un verre tanguant, leur intensité, leur tendresse, leurbestialité, leur désir. Ses lèvres, il les emprisonnait, il les étouffait, leur finesse, leur passion, leur volupté, leurs mots, leurs jappements, leurs lubriques prières. Son poids, écrasant le sien, le possédant, le retenant captif de son adoration, son poids, sa chair, qu'il sentait hardiment, si hardiment, qu'il les crut devenir sien. Sa sensualité, sa sensualité tenace, outrageuse, harmonieuse mais précaire, il la sentait s'étendre, s'enfuir jusqu'au bout de ses doigts. Il la saisissait, la confisquait, espérant, cruellement torturé, cruellement frustré de son amour fugace. Elle lui échappa enfin, l'ébranla d'un plaisir vif, d'un plaisir bruyant, brûlant, sensiblement passionné, d'un plaisir qui emporta sa voix au-delà des spectacles fantasmatiques et qui le fit frémir.
« T-Tommy... »
Ses mains, ses yeux, ses lèvres ; tous se déchirèrent en confusion d'images, de souffles, de silences, de réel. Newton, dont les yeux paupières et la bouche s'étaient entrouvertes, eut un hoquet de surprise. Les jambes tremblantes, couvertes par les couvertures, agressées par une sensation d'humidité, le dos plâtré dans son lit. Son lit froid et vide, où il respirait seul.
« M-Merde... murmura-t-il d'une voix timide, honteuse, qui réalise. »
Il n'osait regarder son corps nu tandis qu'il se lavait, le regard piégé par des songes atroces, trémulantes de cris blâmants, de cris affolés, pudiquement perdus. Il avait rêvé de son meilleur, son unique, son fidèle ami. Il l'avait transporté par-dessus les plus belles des rêveries, les plus belles de tentations, des satisfactions. Il le désirait et il avait voulu qu'il le désire à son tour, il avait joui de cette pensée, de cette obsession, de cette folie amoureuse. Il en avait gémi de bonheur et de plaisir.
La matinée s'était faite insurmontable, le garçon n'observait que ses chaussures ou ses mains, ne pouvait replonger dans le charme de ces yeux whisky, pourtant qu'innocents, qui l'avaient envoûté la nuit dernière. Il ne se résignait pas à affronter les souvenirs de son délicieux rêve, dans lequel tout lui avait paru plus parfait, plus doux, plus paradisiaque, plus vrai. Il ne devait pas laisser paraître ses sentiments, son idolâtrie, son bien-être si puissant à ses côtés, sous peine de perdre une seconde fois un plaisir irremplaçable.« Newt, ai-je dit quelque chose ? »
Newton, sorti de sa stupeur, ouvrit de grands yeux. Adossé sur le même mur que lui, la clarté de la voix perturbée par les bavardages des lycéens déambulant dans les couloirs, Thomas l'examinait d'une culpabilité sans source.
« Q... Quoi ? répondit-il bêtement, scellant enfin leurs regards.
— Je te demandais si j'avais fait quelque chose de mal. Tu ne m'as pas parlé de la journée, tu ne me regardes même plus.
— Tu n'as rien fait. assura-t-il en bredouillant.
— Pourquoi m'évites-tu, dans ce cas ? Ton comportement me blesse. Tu sais très bien que je tiens à toi, ce changement abrupte m'attriste.
— Je... Je dois simplement... dit-il plus bas. Thomas, s'arrêta-t-il, apprécies-tu quelqu'un, en ce moment ?
— Tu aimerais savoir si j'ai un crush ? s'étonna-t-il. Pourquoi, en as-tu un ? Est-ce ça, qui te préoccupe ?
— Ce n'est pas qu'un crush, pour moi... ce n'est même pas aussi simple que ça...
— Es-tu amoureux d'elle ?