Thomas s'aventurait prudemment dans l'obscurité de la forêt, de ce pas déterminé mais lent, les yeux divaguant sur l'impressionnante hauteur des troncs qui caressaient le ciel noir de leurs massives feuilles et s'étiraient à perte de vue. Des insectes étincelaient à travers la pénombre, les plantes s'illuminaient sous nos pas tel un chemin de raison et derrière cet accueil tentaient de nous conduire jusqu'à une mort impitoyable. Nous n'entendions que le chant sinistre du vent, la beauté fantastique de la nature assoupie et le silencieux ronronnement de ses résidants, Thomas se passionnait pour ce sentiment de perfection que son propre clan dénonçait comme une illusion mortelle, le voile d'un destin funèbre, un piège fatal et une malédiction sanglante. Nous ne voyions pas de vie hormis celle des végétations, ni de traces et de flèches qu'auraient pu laisser les monstres de la forêt sur leur passage. Mais Thomas les sentait, là, tapis dans l'ombre, l'œil à l'affût, la main sur l'arc, les dents drapées de sang frais et la commissure des lèvres férocement plissée. Il pouvait sentir leur présence, la lourde menace qu'ils faisaient peser sur leurs têtes comme un couvercle étroit, leur odeur distincte de bêtes soumises aux lois de la nature. Thomas remarquait la gêne de ses coéquipiers, pris de sueur glacée, de tremblotements instinctifs et de tensions artérielles, le visage caché au fin fond de leur masque à oxygène qui les protégeaient de l'air toxique renvoyé par certaines plantes. Il savait d'après leur crainte qu'ils les percevaient tout autant que lui. Les hommes partagèrent un long regard, s'immobilisèrent à travers le surnaturel des bois et baissèrent doucement leurs mitraillettes. Malgré leur souffle écrasant et épais, les bêtes ne se montraient pas. Elles ne bougeaient pas, s'enfermaient dans la sûreté des gigantesques branches, les observaient de ce mépris âpre sans remuer le bout du nez. S'ils tiraient, ils ne surprendraient aucune d'entre elles et ne parviendraient jamais à les abattre une bonne fois pour toutes. Ils devaient patienter et prier aussi silencieusement leur soif de vengeance pour n'en croiser qu'une s'il le fallait et enfin loger une balle à l'intérieur de son maudit crâne. Des feuilles se froissèrent soudainement, les cinq soldats braquèrent leurs armes à feu au hasard dans l'obscurité des alentours. Thomas sentait son squelette frémir de frayeur, son estomac se nouait douloureusement sous son abdomen, sa poitrine se compressait de cette manière anxieuse qui le suppliait de faire demi tour et d'abandonner l'attaque. Un son ample retentit soudainement dans l'humidité des plantes, une flèche empoisonnée s'écrasa dans la poitrine d'un des hommes qui s'écroula aussitôt à terre, la bouche mousseuse et le corps pris de frénétiques convulsions. Des balles furent tirées en réponse à la terreur, leurs détonations éclatèrent crûment dans le silence, une nuée de volatiles alertés repeignit le ciel. Un second militaire fut touché, il s'effondra au sol, gémissant. Une gigantesque plante se referma sur son cadavre et l'engloutit tout entier. Les survivants hurlèrent d'effroi. Ils rebroussèrent chemin, détalant précipitamment parmi les arbres si bien que leurs pieds s'emmêlaient dans les racines et les faisaient trébucher. Un troisième homme fut tué par une flèche dans sa fuite, lancée exactement dans l'axe de l'aorte de son cœur. Le quatrième s'empressa d'accroître sa vitesse alors qu'il courrait aux côtés de Thomas, la vision troublée par l'anxieuse buée qui s'était collée sur la surface de son masque. Un animal rugissant jaillit hors des buissons aussi larges que des voitures et se jeta sur l'homme. Son sang explosa sur les plantes et la combinaison de Thomas tandis que l'espèce de félin dévorait son collègue vivant. Ses cris soutirèrent des larmes d'épouvante à l'unique rescapé, s'échappant de la scène de crime en tentant de se faire le plus discret possible. Il parcourut des dizaines et des dizaines de mètres, jusqu'à apercevoir au loin leur base militaire qui campait à la sortie de la forêt. Elle semblait in atteignable et de cette distance envoyait l'engourdissement de ses jambes au-dessus de l'insoutenable. Il respirait bruyamment dans la panique du silence qui l'entourait, gaspillait par la même occasion ses rations d'oxygène et piétinait sous ses semelles chacune des plantes qu'il n'enjambait plus. Il comptait vivre, peu importe le prix qu'il devait payer. Il le devait, au moins pour ses parents. Une corde s'enroula subitement autour de ses chevilles, le fit trébucher jusqu'à s'étaler au sol et perdre son arme. Il hurla de désespoir, tenta de défaire ses liens à l'aide d'un petit couteau qu'il avait gardé sur lui et releva un regard terrifié vers l'horizon vide de présence. Ses yeux baignaient de larmes chaudes, il gémissait de peur et d'appréhension, ne parvenait plus à orienter la lame de son arme blanche tant les tremblements empoisonnaient l'usage de ses mains. Il allait périr si sa panique persistait à guider ses sens. Une ombre se dessina finalement dans les ténèbres du mystère, s'avança jusqu'à lui de ce rythme ravi et difficilement contenu par l'excitation. À sa vue, le cerveau de Thomas cessa tout fonctionnement et sombra, le laissant s'évanouir au beau milieu de la forêt.