-"Tu te sens mieux ?"
Barbara posa les morceaux de pomme qu'elle découpait et se leva de sa chaise, posant sa main sur le front d'Isabel qui eut un sourire pâle en s'asseyant sur le lit d'hôpital.
-"On fait aller. Tu es là depuis longtemps ?"
Barbara eut un soupir et se rassit sur la chaise en reprenant son découpage.
-"Quelques dizaines de minutes. Henri a dû repartir s'occuper de son bar."
Elle tendit le bras et mit un morceau de pomme dans la bouche d'Isabel qui fut forcé de mâcher.
-"Mange, tu dois avoir faim."
Elle refusa les autres morceaux et Barbara eut un soupir, se levant pour attraper sa mâchoire et la garder ouverte pour lui enfoncer les morceaux dans la bouche.
-"Mange." Répéta la femme et Isabel les macha, cédant finalement.
Son ventre ne criait plus famine. Il semblait qu'elle allait mieux, son visage pâle reprenait des couleurs.
Barbara lui raconta la semaine, qui était passée sans elle, et sa discussion avec le médecin qui lui avait assuré qu'Isabel sortirait d'ici le lendemain matin.
-"Quand a lieu l'enterrement de Théo ?"
La voix rauque d'Isabel se teinta soudain d'amertume et Barbara releva les yeux de ses ongles vernis, fixant les siens qui dérivaient sur les vagues de la mer déchaînée de son cœur.
-"Je ne sais pas." Avoua la rouquine en baissant d'un ton. "Ils n'ont pas encore dévoiler la cause de sa mort et sa famille veut attendre les résultats avant de l'incinérer."
-"Ils ne l'ont pas dévoilé parce qu'ils ne la connaissent pas, voila tout." Isabel prit un autre morceau pour s'occuper l'esprit. "Tout comme ils n'ont pas pu déterminer la cause de mon coma ou de mon soudain rétablissement."
Barbara voulut dire quelque chose mais s'abstint, remarquant alors la lueur sombre dans les yeux de la jeune hospitalisée qui fixait ses doigts pleins d'eau pommée avec tant de rancœur.
Elle eut alors un froncement de sourcils, une lumière semblant s'éclairer au-dessus de sa tête pleine, et se tourna vers Barbara.
-"J'aurai besoin que tu fasses quelque chose pour moi." dit-elle alors et son amie fut toute ouïe.
*****
-"Merci Charlotte."
Isabel eut un sourire poli et sa collègue se retira de la chambre, laissant Barbara se rasseoir à sa place, épuisée d'avoir couru partout dans l'hôpital.
-"Pourquoi voulais-tu ces documents ?" demanda-t-elle mais Isabel ne lui répondit pas, ouvrant les dossiers un par un sur ses jambes drapées.
Quelque chose lui avait échappé jusqu'alors, quelque chose qu'aucun n'avait vu parce qu'aucun n'avait voulu comprendre.
-"Paul Simian, cause de la mort : indéterminée." lut-elle, dans son monde, et elle souleva le document pour apercevoir les photos du corps du défunt père.
Il n'avait ni trace de coups, ni trace d'impact de balle, ni rien qui venait entacher sa peau pâle.
Elle referma le dossier et en prit un autre au hasard, revigorée soudain.
-"Elena Bleyen, cause de la mort : indéterminée."
De nouvelles photos, un nouveau corps vierge d'indice.
Mais peut-être était-ce cela, l'indice. Elle éplucha tous les autres dossiers, salua vaguement Barbara qui partit lorsque le soleil se couchait, alluma la lumière lorsqu'il fut complètement endormi derrière l'horizon, et finalement arriva au dernier dossier, celui qu'elle redoutait.
-"Théo Cohen." Murmura Isabel en l'attrapant pour l'avancer jusqu'à ses jambes.
Elle l'ouvrit, lentement comme de peur de blasphémer, et finalement tomba sur le document, écrit en police Arial, sans autre couleur que le noir sur le papier blanc.
-"Cause de la mort : indéterminée."
C'était ainsi. Il ne le savait pas non plus, tout là-haut, alors ça ne servait à rien de ruminer les choses passées. Quel qu'eut été la cause véritable, c'était déjà fait.
Elle souleva lentement le document comme elle l'avait fait des dizaines de fois durant la journée, et posa son regard sur la peau blanchâtre à l'allure glaciale.
Peut-être le feu du crématoire réchauffera le cœur de ceux qui l'avaient perdu.
Aucune trace, ni sur le cou, ni sur le torse, ni sur le dos, ni sur le crane.
Rien que les pores fermés de sa chair congelée.
Elle ferma les yeux un instant, sentant sa cage thoracique se resserrer.
Son cœur qui battait la chamade, à la vue de ces deux inconnus. Sa vision qui ne voulait pas se stabiliser, fixant tantôt les deux bras tendus, tantôt le lampadaire clignotant, tantôt le goudron sec sous ses pieds, tantôt la lune comme à la recherche d'une merci qu'elle ne trouvait guère ailleurs qu'au ciel. Ses battements de cœur qui résonnaient dans ses tempes.
Pour qui sonne le glas.
Pour qui sonne le glas ?
Pour elle.
-"Attention !" La voix de l'homme qui résonnait alors qu'elle se sentait poussée sur le coté, violente envie de sureté que lui apportait la pénombre des murs.
Ce n'était pas le mur qu'elle percuta qui l'assomma.
Les yeux, deux grands yeux aux pupilles fendues comme celles d'un serpent, la lueur verdâtre aux coins du regard. Le bout de bois dans ses mains, levé avec sérieux.
Une phrase, avalée par l'autre qui sortait de la bouche du second assaillant, elle qui semblait plus mortelle encore et qui toucha l'homme debout près d'elle.
Celui-ci tourna la tête vers elle, la lueur de ses yeux s'éteignant tandis que celle verdâtre le touchait.
Pour qui sonne le glas.
Ses tympans bourdonnaient, ses sens se réduisaient à la toute petite chose qu'elle distinguait, éclairée par la pénombre. Un serpent, aussi noir que les ténèbres, se mouvant et glissant autour du bras de celui qui la fixait, un éclat pâle s'approchant d'elle.
Pour qui sonne le glas.
Elle se sentit s'effondrer, son âme lui faisant défaut, coincée dans son enveloppe charnelle.
Pour qui sonne le glas.
Pour qui sonne le glas ?
Pour elle.
Isabel ouvrit soudain les yeux, le front transpirant, la gorge sèche.
Au-dehors, par sa fenêtre, les oiseaux chantaient, ivres de cette belle journée ensoleillée.
Elle fixa le dossier qui lui avait glissé des mains et avait chuté sur le sol, les feuilles éparpillées, les mains tendues vers le ciel comme pour chercher un sens à tout ce qu'il s'était passé.
Et Draco, qui s'était arrêté sur le pas de la porte, fixa son assiette de pommes que Barbara lui avait demandé d'apporter. Et le déposa sur le sol avant de faire demi-tour, ne voulant gérer une femme au regard si plein d'effroi.
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𝕯𝖎𝖆𝖇𝖔𝖑𝖔 𝖒𝖊𝖓𝖙𝖍𝖊 [TERMINÉ]
FanfictionLa guerre, destructrice, laisse derrière elle un goût amer de vengeance inachevée. Et si pour certains la victoire se fête, d'autres préfèrent se terrer pour ne pas montrer l'humiliation que la défaite leur avait causé. Un petit bar, entre Élise et...